Maurice – Edward Morgan Forster

Critique par Chiffonnette – Roméo et Roméo

Depuis son adolescence, Maurice, jeune homme bien comme il faut de la bourgeoisie anglaise fait des rêves étranges. Sa nature mélancolique, confuse lui fait traverser le monde dans une espèce de brouillard. Pétris des convictions et des conventions de sa classe, il vit sans vraiment vivre. Jusqu’à ce qu’il rencontre Clive à Cambridge. Maurice va alors entamer un long chemin vers la découverte de soi, l’acceptation de son homosexualité et la révolte contre une société qui écrase la différence.

Maurice est un roman qui m’a littéralement happée. Dans cette chronique sociale des années 20, E.M. Forster traite de l’homosexualité avec une grande intelligence et une grande finesse. On frôle parfois un brin la caricature (ce qui est du sans doute à sa volonté d’entrecroiser les trajectoires des personnages), mais son regard sur la naissance d’un amour certes interdit, mais d’un amour reste plein d’humanité.

Ceci dit, le couple formé par Clive et Maurice, leur amour naissant puis mourant est surtout le prétexte à une étude sociale comme Forster sait les faire. Le sujet central du roman, outre l’homosexualité, est le poids des conventions sociales sur les êtres. J’ai trouvé intéressant le cheminement des personnages.

Clive le libre-penseur, le premier à avoir admis sa différence, l’initiateur qui finalement se laisse rattraper par la société. Pris dans un carcan dont il a conscience, il y cède pourtant. D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure il s’était libéré de ces carcans, tant son acceptation de son homosexualité restait intellectuelle et platonique. Il s’intègre, mais au prix de la perte de soi. Et son attitude n’est pas exempte de paradoxe. Le rejet qu’il risque par l’amour interdit qu’il porte à Maurice, il le reporte sur les femmes avec une misogynie hallucinante, représentative de l’époque mais exacerbée. Le politicien qu’il devient n’est que préjugés.

Maurice, le bourgeois anglais type qui découvre la possibilité d’un amour entre homme, qui l’accepte et qui prend le risque de le vivre. Son cheminement n’est pas facile. On le suit dans ses atermoiements. Cela en fait un personnage vivant. Il n’est pas exempt de défaut. Il y a des pages où j’ai eu envie de le secouer ! Mais c’est ce qui le rend attachant. Dans sa confrontation aux normes, dans sa prise de conscience que le désir qu’il ressent peut être le seul moyen d’épanouissement pour lui quoiqu’en dise la société, il prend une dimension quasi héroïque tout en gardant ses défauts, ses faiblesses, et son humanité.

Forster a de plus l’intelligence d’éviter le happy end ! Pas de drame, mais une fin qui laisse l’avenir des personnages en suspens. La lumière est faite sur la conquête de la liberté. Ce qui sera fait de cette liberté ne regarde plus que les personnages.

L’autre chose que j’aime énormément chez Forster est son regard acéré sur la société dans laquelle il vit. Le tableau qu’il fait d’aristocrates et de bourgeois sclérosés dans leurs privilèges de classe, dans leur mépris pour les classes « inférieures » est d’une cruauté réjouissante. De petites phrases assassines en petites phrases assassines, Forster met en lumière leurs défauts, leurs renoncements, leurs lâchetés communes, leur médiocrité ! Et surtout, il n’épargne personne. Pas même lesdites classes «inférieures» dont il pointe tout autant les défauts !

Bref un magnifique roman dont Forster a refusé la publication de son vivant par peur des conséquences.

Critique par Karine – Fan de Forster

Présentation de l’éditeur

   « Depuis son plus jeune âge, Maurice est hanté par des rêves dont il s’explique mal la nature étrange et mélancolique. Puis, comme tous les gens de la bonne société anglaise, il part faire ses études à Cambridge. C’est là qu’il rencontre Clive, étudiant comme lui, auprès de qui il sent naître de nouveaux sentiments. Tentant d’abord d’ignorer cette passion, le jeune homme va peu à peu entamer un long cheminement, parfois douloureux, vers la liberté et l’affirmation de son identité. Dans ce long récit intimiste à l’écriture ciselée, Forster, qui jamais ne consentit à ce que cette œuvre soit publiée de son vivant, livre une magnifique histoire d’amour sur fond de chronique sociale de l’Angleterre puritaine des années 1920. »

Commentaire

Ça, ça a été le coup de cœur magistral!!!! C’est un livre que je cherchais depuis longtemps !

Nous rencontrons donc Maurice adolescent, venant d’un milieu qui a un peu de sous, mais quand même assez mal dégrossi. De la vie, il ne connaît que ce que les bien pensants lui ont appris. Il faut se marier, avoir des enfants, et voilà. Sauf que pour Maurice, qui fait d’étranges rêves où il entend « voici ton ami », est peu réceptif à cette vision du monde. Quand, à Cambridge, il fait la connaissance de Clive, il s’éveille à d’autres possibilités, mais dans l’Angleterre des années 20, où « le mal d’Oscar Wilde » est considéré comme une maladie mentale, une tare, difficile à assumer comme concept.

Quelle analyse psychologique fantastique! Maurice est un jeune homme tout en contradictions, qui se débat comme il peut dans cette société, en tentant de s’accepter à travers un combat intérieur difficile. Il n’est pas nécessairement hyper sympathique tous les jours; il est misogyne, parfois superficiel, pas toujours agréable. Ici, pas de portrait idéalisé, juste un homme face à lui-même dans un univers bourré de règles non-écrites et de carcans sociaux très lourds à porter pour qui ne s’y conforme pas. L’évolution de Clive, très différente, est aussi une partie très intéressante de l’histoire. Tout sonne juste dans ce roman. Du sentiment d’être enchaîné, à la découverte d’une partie de soi qu’on n’attendait pas en passant par la tentative de la rendre sublime et pure et celle de l’éliminer. Les chaînes que portent les protagonistes pèsent tout au long du roman et leurs réactions à tous les deux semblent inévitables et parfois déchirantes.

Je ne veux pas spoiler l’histoire davantage et je ne peux que vous dire de tenter le coup, que cette lecture le vaut amplement. Je suis sortie de l’histoire avec un grand sentiment de tristesse, même si le roman n’a en aucun cas comme objectif de faire pleurer les foules. J’ai aimé l’exaltation de certains passages, le côté très poignant d’autres, les questionnements, le combat avec soi-même… j’ai tout aimé!!! L’écriture de Forster m’a énormément plu, réussissant sans s’empêtrer dans d’interminables considérations à faire ressortir cette psychologie des personnages que je trouve incroyable. Il a réussi à faire passer des idées complexes dans une forme relativement simple.

Voilà, je suis devenue fan de Forster.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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