Rocambole – Pierre-Alexis Ponson du Terrail

Critique par Sibylline  – Romantisme baroque

Pur produit du début du XIXème siècle, Pierre-Alexis Ponson du Terrail, lassé de poursuivre des études qu’il avait de moins en moins de chances de rattraper, se mit en tête vers 20 ans, tout simplement de vivre de sa plume. La famille était de noblesse assez ancienne (on dit qu’elle comptait Bayard parmi ses ancêtres), mais de peu de fortune. Il monta à Paris.

Paris, comme la société française, est en plein remue-ménage, mais Ponson, homme de droite, fidèle sans états d’âme à son milieu, ne s’aperçoit de rien. Il fait une tentative dans le commentaire politique réac qui ne lui vaut qu’un silence poli. Persistant dans son but professionnel, il opte alors pour le roman feuilleton et là? là, c’est tout autre chose.

Nous arrivons au Second Empire -je ne vous apprendrai sans doute pas qu’il n’y avait pas la télévision- et les gens se distrayaient en lisant le journal. Les divers journaux de l’époque «La Patrie», «Le Petit Journal», «Le Moniteur du Soir»? s’assuraient la fidélité de leurs lecteurs en les captivant avec des feuilletons (ainsi nommés parce qu’ils correspondaient à une feuille à chaque épisode). C’est là que Ponson du Terrail rencontra le succès. Il collabora à plusieurs journaux à la fois (jusqu’à cinq), et ce, sans l’aide d’aucun nègre. Il était aidé en cela par une imagination fertile et peu bridée par les limites de la vraisemblance. Il écrivait au jour le jour et faisait publier immédiatement par le journal. Il n’avait pas de plan complet à l’avance du déroulement de son histoire et se fiait beaucoup aux réactions du public. Un personnage qui plaisait était développé. Un qui ne plaisait pas, abandonné. Cette façon de faire assurait de satisfaire le lecteur, mais ne permettait guère d’avoir une vue d’ensemble sur les centaines de pages que pouvait représenter à l’arrivée un roman feuilleton complet.

On comprendra que le style n’était pas absolument académique. On se trouve là, face à une écriture rapide et même, il faut le dire, hâtive. On lui doit quelques perles célébrissimes, comme «Sa main était aussi froide que celle d’un serpent» ou encore «Il prit son courage à deux mains et son épée de l’autre», qui sont entrées dans l’histoire. Tout comme est entré le nom de son personnage principal : Rocambole, dont les rocambolesques aventures ont tenu en haleine des centaines de lecteurs qui n’auraient pour rien au monde, manqué d’acheter leur journal pour connaître la suite. Exactement ce qu’on attendait d’eux. Il faut dire que Ponson était doué pour mettre ses héros dans des situations tout à fait impossibles dont lui seul savait les sortir? si l’on achetait le n° suivant. Aussi, son style lui était-il plus reproché par les confrères écrivains jaloux ou les lettrés peinés de ses approximations que par un public tout acquis à sa cause. On dit qu’il reçut même des lettres de menaces lorsqu’il annonça la fin prochaine d’une de ses séries. Ses lecteurs ne l’autorisaent pas à tuer ses personnages? sous menace de mourir lui-même.

En dehors du style, un des soucis de Pierre Alexis Ponson du Terrail, fut la mémoire. Mener de front cinq histoires différentes, c’est s’exposer aux risques de confusions. Ponson, n’y échappa pas. Plus le succès et les feuilletons se multipliaient, plus se multipliaient les bourdes gênantes (personnage changeant d’âge d’une page à l’autre quand ce n’était pas de nom) et les oublis fâcheux (comme de faire revenir un personnage dont on a raconté la mort quelque temps auparavant). C’était une tâche bien lourde. Il fallait faire face.

Comme je vous disais que ses adversaires avaient sévèrement reproché à Ponson de réutiliser des personnages qu’il avait déjà fait mourir auparavant et que ce reproche était, hélas, fondé, notre feuilletoniste résolut le problème d’une façon simple et efficace. Il fit fabriquer des figurines de cire représentant tous les personnages qu’il introduisait dans son récit et, quand il en tuait un, il détruisait la figurine (ou l’enfermait dans un placard, les versions divergent sur ce point). Comme il s’interdisait d’utiliser qui que ce soit dont il n’avait pas la représentation, il parvint à mieux gérer son panel d’intervenants. Si ces figurines n’ont pas été détruites, je me demande où elles sont et je ferais volontiers des kilomètres pour les voir. Alors, si quelqu’un a la réponse à cette question? qu’il n’hésite pas à nous la donner.

Je conseille très vivement de lire les tomes dans l’ordre. Une lecture aléatoire me paraît risquée. Déjà que l’action est bien «touffue», mélanger plus que ne l’a déjà fait l’auteur n’arrangerait rien.

Donc, je n’ai pas encore évoqué le récit de ces rocambolesques aventures :
Cette grande fresque conte la lutte que se livrent deux demi-frères : le Comte de Kergaz (le bon) et Sir William (le méchant). L’histoire est ancienne, car elle remonte déjà à leurs pères, le vilain papa de Sir William ayant lâchement trucidé l’héroïque papa du Comte de Kergaz pour prendre sa place, sa femme, ses biens etc. Vous l’aurez compris, Ponson du Terrail et ses lecteurs aiment bien que les choses soient claires, les bons d’un côté- très bons- et les mauvais de l’autre- très mauvais. Cependant, il convient de corser l’action et c’est pourquoi autour de ces deux pôles inébranlables, gravitent d’autres personnages moins tranchés. Ainsi, Baccarat, la courtisane qui hésite un peu entre les deux camps et trahit un peu partout avant de se fixer et même (et surtout) Rocambole lui-même, le rôle-titre, qui n’est pas toujours du même côté de la barrière, ce qui ne manque pas de donner du piquant à l’intrigue. J’attire dès à présent votre attention sur la fin qui est sauvage, sous des dehors extrêmement policés, mais je vous conseille, avant de la découvrir de bien profiter des innombrables rebondissements qui nous y mènent.

Adolescente, j’ai économisé sou à sou un argent de poche très réduit pour m’offrir les tomes de la réédition de Rocambole, que j’achetais l’un après l’autre à ma libraire, à l’époque où la télévision, reprenant le concept même du feuilleton, nous livrait une adaptation avec en particulier un Jean Topart excellent dans le rôle de Sir Williams. Aujourd’hui, j’ai encore ces tomes, devant moi, j’y tiens énormément et il me semble que je suis la même. Si c’était nécessaire, je serais prête à économiser sou à sou pour me les re-payer? mais j’ai quarante ans de plus. Un détail.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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