Thérèse Raquin – Emile Zola

Critique par Sibylline – « Tu ne tueras point »

Thérèse Raquin ne fait pas partie de la saga des Rougon-Macquart. Elle a été écrite et publiée avant que la légendaire série ne commence et avait déjà valu le succès à son auteur.

Zola soutenait que «le romancier est fait d\’un observateur et d\’un expérimentateur ». et tenait à le démontrer dans ses œuvres. Ce fut l’Ecole Naturaliste. Il expérimente ici, entre autres, les effets d’un crime sur la vie des coupables.

Thérèse, parente pauvre, enfant recueillie mais robuste et pleine de vie, a été élevée avec Camille, enfant maladif et, ainsi que tout le monde s’y est toujours attendu, a fini par l’épouser… sans amour qu’il soit sentimental ou sexuel, ni d’un côté ni de l’autre.
A ce stade du récit, Thérèse est strictement une victime. On l’a entretenue et à ce titre, on s’estime en droit de lui prendre sa vie.

Mais elle va rencontrer Laurent, jouisseur volontiers parasite et ils découvriront ensemble l’embrasement de la passion sensuelle et le désir de jouir davantage encore d’eux-mêmes, cela dut-il nécessiter un crime de sang. Et Thérèse devient bourreau.

Zola place ses cobayes dans les conditions de l’expérience et laisse les choses suivre leur cours jusqu’à leur conclusion, observant, notant, comprenant et donnant à comprendre. Il était persuadé que son travail avait l’objectivité de l’expérience scientifique et que le développement des faits présentait l’inéluctabilité de l’enchaînement mécanique… mais il semble bien au lecteur actuel qu’il n’en est rien. Qu’il n’a jamais pu extraire qu’une possibilité, une situation, une combinaison entre mille, ce qui n’ôte rien à l’intérêt de sa recherche et au caractère prenant du récit qu’il nous fait car Zola, ne l’oublions pas, n’est jamais ennuyeux.

A noter : les romans d’Emile Zola comportent toujours des scènes de pure documentation socio-historique de son époque. Ici, le passage évoquant les us et coutumes des dépôts mortuaires dépasse tout ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui et est d’ailleurs entré dans les annales à ce titre. On en reste sidéré.

Critique par Jean Prévost  – Œuvre de jeunesse

Emile Zola publie « Thérèse Raquin » en 1867, à 27 ans, après l’avoir fait paraître en feuilleton. C’est son deuxième roman, après « la Confession de Claude ». D’une certaine façon, il s’agit de son expérimentation de la méthode réaliste qu’il désire appliquer minutieusement à la construction de son œuvre. Ses personnages issus du peuple, réunis dans un passage sordide du vieux Paris, sont des individus ordinaires marqués par leur origine. Zola insiste toujours sur le tempérament inné des personnes.

Thérèse Raquin, née sous le soleil de l’Algérie, a une petite enfance agrémentée par la sensualité des pays chauds. Devenue orpheline, elle est recueillie par sa tante qui lui fait partager le lit de son cousin Camille, adolescent maladif, tributaire des soins de sa mère. Celle-ci, dans son for intérieur, destine Thérèse à devenir l’épouse de Camille, pour assurer la permanence des soins requis par la santé fragile de ce fils chéri. Cette situation est propre à choquer : comment peut-on envisager de marier deux jeunes gens qui, pendant des années, ont vécu comme frère et sœur, dans une promiscuité malsaine, qui procura à la petite fille un sentiment de dégoût à l’égard de son cousin?

Le mariage est célébré néanmoins. Camille trouve un emploi de bureau et Thérèse supplée sa tante dans son petit commerce de dentelles. La famille se fait des amis qui viennent chaque semaine jouer aux dominos avec le trio. Parmi eux, Thérèse distingue Laurent, le collègue de Camille, garçon au corps vigoureux, débordant d’énergie physique. Une liaison se noue, avec de rapides ébats dans la chambre même de Camille et Thérèse pendant que le reste de la compagnie s’amuse.

Mais comment supporter une relation aussi incertaine alors qu’à chaque instant les deux amants peuvent être surpris? Au fil des jours Thérèse ressent plus profondément l’aversion inspirée par son mari. Pour pouvoir jouir pleinement, Thérèse et Laurent doivent se débarrasser de Camille…

Zola assène toute cette évolution au lecteur comme la démonstration d’une fatalité liée à la nature des protagonistes, avec une puissance inébranlable, suscitant des réactions contrastées de ses premiers lecteurs.

Il convient de noter la précision et l’élégance du style de Zola dès ce premier vrai roman réaliste. Les scènes qui parfois peuvent paraître excessives indiquent que Zola expérimente sa méthode dans ce roman. Ultérieurement, il parvint à faire passer sa puissance avec une moindre brutalité, qui a pu dérouter certains de ses premiers lecteurs.

Critique par Claudialucia – Zola y est déjà

« Thérèse Raquin » est le troisième roman de Emile Zola. Il parut en 1867 avant que l’écrivain n’entreprenne le cycle des Rougon-Macquart et contient déjà toutes ses théories sur le roman naturaliste. Il mène l’étude des personnages par le biais de la science et des lois de l’hérédité. Voilà qui se rapproche tout à fait du déterminisme et Zola en est très conscient quand il déclare :
« Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. »

Résumons l’histoire en quelques lignes :

Thérèse Raquin, fille d’un capitaine de l’armée française et d’une algérienne est confiée à sa tante lorsque sa mère meurt. Elle épouse son cousin Camille, frêle et maladif, quand elle a 21 ans mais elle ne l’aime pas. Elle devient la maîtresse de Laurent, un peintre qui est reçu par Camille, et bientôt le couple décide de tuer le mari en le noyant au cours d’une promenade en barque. Ils se marient ensuite. Peu à peu, sous les yeux de la mère de Camille, paralysée et muette, mais qui a deviné leur secret, Thérèse et Laurent sont rongés par d’affreux tourments.

Comme d’habitude, le talent d’Emile Zola est plus grand que ses théories sur le roman. Certes le roman est naturaliste, mais il est aussi bien autre chose et c’est tant mieux car c’est cette complexité qui fait la force de « Thérèse Raquin ».

Une technique impressionniste
Par moments, les descriptions des bords de la Seine et en particulier de Saint Ouen, le canotage sur le fleuve, évoquent les rendez-vous des peintres impressionnistes et il nous semble échapper à la noirceur et à l’âcreté des noires boutiques parisiennes pour goûter le soleil dans les branches et ses reflets dans l’eau. Nous pénétrons un instant dans un tableau de Monet ou de Renoir, ou une nouvelle de Maupassant!
« Ils allaient à Saint-Ouen ou à Asnières, et mangeaient une friture dans un des restaurants du bord de l’eau.(…) Il était midi, la route couverte depoussière, largement éclairée par les rayons du
soleil, avait des blancheurs aveuglantes de neige.L’air brûlait, épaissi et âcre. Thérèse, au bras deCamille, marchait à petits pas, se cachant sous son ombrelle, tandis que son mari s’éventait la face avec un immense mouchoir. »

Une technique expressionniste
Certaines descriptions de Zola semblent annoncer, avant la lettre, l’expressionnisme allemand! Les effets sont sensiblement les mêmes. Les décors cessent alors d’être réalistes pour devenir angoissants, déformés, comme vus par un esprit torturé. Ils reflètent les troubles mentaux des personnages. Les éclairages et les brusques contrastes entre l’obscurité et la lumière possèdent un sens symbolique. Les choses et les êtres signifient autre chose que ce qu’ils sont et conduisent au malaise.

Le goût du macabre

La violence, la mort dans ses aspects les plus sordides, le trait forcé pour souligner le dégoût, l’horreur, l’abjection sont des traits propres à certaines descriptions de ce livre. La présentation de la morgue dans Zola, plus que réaliste, joue avant tout sur la violence et le goût du macabre. Ainsi lorsque le cadavre de Camille est découvert par Laurent :
 » Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche,avaient un ricanement atroce; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents. »

Un roman fantastique
Camille qui de son vivant était un être pâle, sans consistance, prend, en mourant, une importance qu’il n’avait pas. Il commence par hanter l’esprit de ses assassins et se manifeste comme un spectre effrayant attaché à leurs pas. Il finit par « habiter » le portrait de Camille peint par Laurent. La morsure qu’il a infligée à Laurent au moment où celui-ci le précipitait dans la rivière, semble elle aussi surnaturelle et se rappelle à Laurent en ne lui laissant aucun répit. Thérèse et Laurent sont victimes de terribles hallucinations, cherchant désormais dans « un embrassement horrible » à chasser le cadavre du noyé qui vient se glisser entre eux dans le lit :
« En sentant le froid du cadavre, qui, maintenant, devait les séparer à jamais, ils versaient des larmes de sang, ils se demandaient avec angoisse ce qu’ils allaient devenir. »

Le chat lui-même apparaît comme une puissance maléfique, doué de pouvoirs surnaturels. Son regard posé sur les amants semble exercer une surveillance sur les amants :
« Le chat tigré, François, était assis sur son derrière, au beau milieu de la chambre. Grave,immobile, il regardait de ses yeux ronds les deux amants. Il semblait les examiner avec soin, sans cligner les paupières, perdu dans une sorte d’extase diabolique. »

Le fantôme de Camille et le chat n’ont bien sûr que les pouvoirs que leur prêtent Laurent et Thérèse mais ils n’en poussent pas moins le couple au suicide.

Un roman réaliste
   Le roman nous présente le Paris de l’époque, la ville mais aussi la boutique, l’appartement, la vie de ses habitants croqués dans leurs occupations familières, leurs activités, leurs distractions. Il détaille par le menu les particularités d’une habitation et tous les faits et gestes des personnages. Il s’attache à en révéler la misère, l’aspect malsain. La description du passage du Pont Neuf en est un exemple :
« une sorte de couloir étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine » Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse’.


Un roman naturaliste

L’analyse des personnages chez Emile Zola dans le roman naturaliste obéit à trois clefs : le tempérament qui souligne l’aspect médical, scientifique de cette analyse, l’hérédité qui en explique la cause et le milieu dans lequel ils évoluent.
Thérèse :
Le tempérament

Thérèse Raquin a un tempérament nerveux; ce sont les nerfs qui expliquent son détraquement, son glissement progressif vers l’hystérie et la folie.
Thérèse a un corps « robuste » des « souplesses félines »; Elle est tout en énergie et « une passion » dort sous « sa chair assoupie ». Cependant son éducation et sa vie morne auprès de sa tante et d’un cousin débile a fait d’elle un être au teint jaune, placide, faussement docile donc une hypocrite. C’est la jouissance physique qu’elle connaît avec Laurent qui va fissurer cette façade immobile et c’est le crime qui va la conduire à la folie; mais il ne s’agit pas de remords, précise Zola car « l’âme est parfaitement absente » : c’est « un désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. »

L’hérédité
Le père de Thérèse était officier à Alger. Sa mère est « une femme indigène d’une grande beauté ». C’est ce sang africain qui explique l’ardeur de la jeune fille et ses instincts voluptueux. Quand elle découvre l’amour avec son amant, Zola écrit : « Le sang de sa mère, ce sang africain qui brûlait ses veines, se mit à couler , à battre furieusement dans son corps maigre, presque vierge encore. »

Le milieu et l’éducation
L’influence de son milieu et de son éducation a été déterminante. Malgré sa « santé de fer », son corps « robuste » Thérèse fut élevée comme « une enfant chétive ». Obligée de partager le lit de son cousin malade ainsi que le médicaments et les tisanes, elle fut contrainte à l’immobilité et au silence. C’est son éducation qui l’a habituée à ne jamais montrer ses sentiments, à dissimuler sa vraie nature pour obéir aux injonctions de sa tante: ne fais pas de bruit, reste tranquille. Plus tard elle prendra goût à l’hypocrisie et sera heureuse à l’idée d’abuser par ses mensonges sa tante et son mari..

Laurent

Le tempérament

Laurent lui, possède un tempérament sanguin qui fait de lui « une brute humaine », aux pensées lentes et à l’esprit épais. Il est soumis « à ses instincts, dominés par ses appétits »: il a « des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables ».
Cependant sous l’influence de Thérèse « la nature épaisse et sanguine » de Laurent va se transformer. « Elle avait fait pousser dans ce grand corps, gras et mou, un système nerveux d’une sensibilité étonnante. »

Son hérédité
Laurent est un« un vrai fils de paysan d’allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l’air tranquille et entêté ».
C’est son hérédité qui explique sa prudence, son caractère intéressé et calculateur.

Son milieu

Il a d’abord voulu échapper à son milieu en devenant peintre et il cru trouver dans l’art « un métier de paresseux ». Son père en lui envoyant des écus pour financer ses études a développé sa paresse naturelle et ses instincts de jouissance. Plus tard le métier d’employé lui convint très bien : « il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas mais endormait son esprit. »On voit, au passage, aussi tous les préjugés véhiculés par Zola sur les classes populaires et les femmes africaines!!

Un livre à découvrir!

 

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
Partagez sur les réseaux
A ne pas manquer

Solal – Albert Cohen

Critique par Tistou - A éclipses Quelques romans vous font cette impression : vous les attaquez, maussade, pas trop séduit, vous les continuez un tantinet...

Ilium – Olympos – Dan Simmons

Critique par Le Bibliomane - La guerre de Troie n'aura pas lieu Dan Simmons est un de ces auteurs de S.F. que j'ai connu sur...

L’été de cristal – Trilogie berlinoise – 1 – Philip Kerr

Critique par Sibylline - Les violettes de Mars Trilogie berlinoise Philip Kerr a rédigé trois excellents romans policiers tout à fait originaux en cela que leur...

Les derniers articles

Pour continuer la lecture