Les bottes rouges – Franz Bartelt

Critique par Sibylline – Des patates à perte de vue

Ce roman de Franz Bartelt est franchement orienté « rigolade », mais attention, dans un registre extrêmement cynique, qui ne va pas plaire à tous. Vous êtes avertis.

Le récit nous en est fait par notre correspondant local. Enfin, quand je dis « notre », c’est celui du journal régional, sous-produit d’un grand groupe de presse, et je peux vous dire que pour moi qui vis en province (non, je ne dis pas « en région », pourquoi ?), la peinture de mœurs est plus que très évocatrice. J’en ai vu à l’action, des échotiers comme celui-là ! Mais moins lucides sans doute, ou était-ce juste parce que je n’avais pas accès à leurs pensées réelles ? En tout cas, là, on y a accès, et c’est particulièrement éclairant (et si juste!). Je peux vous dire que ça percute, de l’article pré-écrit multi-publié où il ne reste qu’à changer quelques noms, lieux et dates, à la photo devant comporter le plus grand nombre de personnes car cela entraine l’achat du journal par toute la famille de chacun, en passant par les buffets de vins d’honneur, tout est criant de vérité. Et drôle. Quant à ses peintures de personnages ! On a les mêmes ! Irrésistibles (cf le peintre local par exemple, puisque je parle de peinture).

Notre échotier est un homme modeste, solitaire et particulièrement allergique aux dépressifs, qui se satisfait au mieux de la vie la plus paisible possible. Il a développé un très bel alcoolisme « mondain » dit-il, « professionnel » dirais-je, qui lui suffit tout à fait comme compagnie. Ça et l’épluchage de pommes de terre, de préférence devant une fenêtre ouverte sur la pluie, qui est son enivrante pratique zen quotidienne. Il a renoncé aux femmes suite à des expériences malencontreuses et ne s’en porte pas plus mal. Surtout quand il regarde son voisin et seul « ami » qui a bien du souci avec la sienne. Ce sont d’ailleurs les mésaventures de ce pauvre voisin, magasinier de son état et fier de l’être, qui vont faire le corps de ce roman.

Basile, le magasinier, a eu une brève faiblesse pour une petite stagiaire (la promotion canapé est effleurée sans y penser, comme le sera plus tard le viol, j’avais prévenu qu’il ne faut pas prendre les choses au sérieux). Bref, son épouse, pourtant pas irréprochable non plus, l’a su et a entrepris une grande action dramatique qui va occuper les 200 pages suivantes avec beaucoup de rebondissements et de scènes tonitruantes, absurdes et comiques. Les raisonnements spécieux mais très argumentés y feront florès (comme celui démontrant que « personne n’apprécie à sa juste valeur le fait d’être trompé par son conjoint » par exemple. Drôle aussi, la philosophie strictement non interventionniste de notre narrateur, homme prudent et tenant à sa tranquillité, s’il en est.
« estimant que si Rose, percluse d’un insurmontable chagrin, en était venue à vouloir s’euthanasier, il n’entrait pas dans mes compétences de restreindre, par une hâte trop violemment salvatrice, ses chances d’atteindre son objectif. »

Drôle enfin l’incongru rencontré à chaque coin de page « En travaillant, il fredonne quelques chansons dans une langue qui mêle le breton et le maori, hommage à Gauguin. »

Quant au style, on voudra bien excuser la crudité de certains propos « J’ouvre une parenthèse ici, non pour me justifier, mais parce que je pense que l’emploi insistant d’un langage brut et malgracieux peut apparaître comme une facilité et choquer les esprits nobles qui se seraient égarés dans cet ouvrage. Personnellement, je ne me priverais guère en censurant ces pages de tout ce qu’elles contiennent de minauderies alvines et de références rectales.(…) Seule la vérité des faits et des paroles me guide. » On le comprendra.

En conclusion, ne vous dispensez pas de cette récréation rabelaisienne qui n’a pas remporté pour rien le Grand Prix de l’Humour noir 2001.

PS : Oups ! « Rose n’avait pas dénié (sic) répondre » p.147 Ben alors, Monsieur Gallimard, est-ce bien sérieux

Critique par Tistou – Ah la garce !

Disons-le, pas le meilleur de Franz Bartelt. Pourtant les ingrédients habituels y sont. La médiocrité d’une petite vie sans souffle d’une petite vie de province. Ils sont ainsi les personnages de Franz Bartelt, indécrottablement petits et confits de conformisme et ils habitent toujours des endroits pas possibles, désespérants de gris, de petite pluie et de mesquinerie.

Bingo, tout y est dans « les bottes rouges » ! La mesquinerie, la médiocrité, c’est terrifiant de petitesse (tiens je réalise en écrivant ceci que c’est l’exacte antithèse de l’Amérique et des Américains où l’on sent toujours le souffle des grands espaces passés, ce qui n’empêche pas médiocrité et mesquinerie, hein !).

« J’ai toujours aimé éplucher les pommes de terre. C’est mon zen. Il y a un plaisir apaisant dans cet ensemble de gestes utiles qu’on définit trop vite comme une corvée. J’épluche, bien sûr, à heure fixe : les rituels ne se passent pas d’être strictement situés dans le temps quotidien, comme les prières pour les chrétiens, par exemple. »

Ca commence fort, hein ? Quand je vous disais… Lui, c’est le narrateur, correspondant local d’une feuille de chou très locale et accessoirement éplucheur de patates. Il a pour voisin d’en face et compagnon de bière Basile Matrin, magasinier et accessoirement époux de la belle (?) Rose.
(dément le pitch !)
Et voilà que survient un drame. Un drame dû à la sincérité de Basile. C’est que Basile, le magasinier, s’est laissé circonvenir par la belle, et jeune, Marise,
« …la petite Caillois, si tu préfères. Une choupinette de vingt ans, belle comme un lingot d’or. »

Celle-ci, engagée comme aide-magasinier « sous contrat renouvelable mensuellement avec possibilité d’embauche définitive au bout de trois mois », s’est dit qu’il fallait se mettre le chef, Basile, dans la poche (enfin pas dans la poche précisément, vous voyez ce que je veux dire ?) et elle fait ce qu’il faut pour faire tourner la tête à Basile et… Et Rose s’aperçoit de la trahison et entre en dépression. Oui, elle entre en dépression comme on entre dans les ordres. Il y a de la foi, du volontarisme,… elle y met le paquet.

Et Basile commence à expier. Grave. Le narrateur, qui assiste à tout ceci de chez lui, l’incite à plaquer la Rose mais non, la culpabilité est la plus forte et Basile ne va pas lâcher Rose comme ça…

Franz Bartelt a l’art d’aller très loin, « no limit », une fois ce genre de situation installé et il y va, loin. Très loin.

Faut lire. Je ne vous en dirai pas davantage. Il faut lire et en plus, ça se lit bien, Franz Bartelt.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
Partagez sur les réseaux
A ne pas manquer

Solal – Albert Cohen

Critique par Tistou - A éclipses Quelques romans vous font cette impression : vous les attaquez, maussade, pas trop séduit, vous les continuez un tantinet...

Ilium – Olympos – Dan Simmons

Critique par Le Bibliomane - La guerre de Troie n'aura pas lieu Dan Simmons est un de ces auteurs de S.F. que j'ai connu sur...

L’été de cristal – Trilogie berlinoise – 1 – Philip Kerr

Critique par Sibylline - Les violettes de Mars Trilogie berlinoise Philip Kerr a rédigé trois excellents romans policiers tout à fait originaux en cela que leur...

Les derniers articles

Pour continuer la lecture

Critique par Sibylline - Des patates à perte de vue Ce roman de Franz Bartelt est franchement orienté "rigolade", mais attention, dans un registre extrêmement cynique, qui ne va pas plaire à tous. Vous êtes avertis. Le récit nous en est fait par notre correspondant local....Les bottes rouges - Franz Bartelt