Les abeilles de Monsieur Holmes – Mitch Cullin

Critique par Sibylline – Une extrême finesse

Je suis, et ce depuis des lustres, une «holmesophile». J’ai lu non seulement les œuvres de Conan Doyle, mais toutes les variations sur le thème «Sherlock Holmes» que j’ai pu trouver. J’ai même regardé les films, moi qui ne suis pas cinéphile. C’est donc de bon appétit que je me suis lancée à la dégustation de celui-ci.
Et je n’ai pas été déçue. Sherlock a 93 ans, mais j’ai vieilli moi aussi et il est exactement comme je l’aurais fait vieillir moi-même ! Je suis comblée.

Encore une fois avec Sherlock, nous dépassons les rivages de l’énigme pour aborder à ceux de la nature humaine. Ce roman, n’est pas un roman policier. Bien au contraire pourrait-on même dire car il tend à démontrer par trois fois que l’on ne peut pas tout comprendre, deviner, expliquer.

Les trois fois, ce sont les trois récits qui se mêlent ici : une ancienne enquête de Sherlock, restée non racontée, celle qui l’a le plus marqué et dont il entreprend lui-même le récit, un voyage qu’il fait au Japon après Hiroshima, hôte d’un Japonais qui attend de lui l’explication de la disparition de son père bien des années plus tôt et, contemporaine de ce voyage au Japon, sa vie quotidienne dans le Sussex, retiré de tout et de tous, ne s’intéressant plus qu’à ses ruches, aux abeilles et à leur merveilleuse gelée royale qui prolonge la vie.

C’est là qu’il vieillit lentement mais sûrement. Sa mémoire est devenue fort mauvaise, surtout sa mémoire immédiate et le fait vivre dans une sorte de flou incertain et poétique. Watson est mort depuis longtemps, comme Mycroft et tous ceux qu’il connaissait. Et lui qui n’avait jamais été familier de personne se retrouve vraiment seul, face à son vieillissement et à sa vision du monde, les vérités premières, les erreurs humaines et la si difficile communion avec la nature.

Toujours aussi peu expansif, Holmes est pris pour insensible par de bien moins sensibles que lui. Moins sensibles mais mieux capables d’exprimer leurs sentiments dans des formes comprises par tous. Holmes est vraiment un solitaire inadapté social et, assis entre ses quatre galets, il tente d’accepter simplement et sans fausses consolations que la vie soit cette chose injustifiée que nous connaissons.
“ Comme les autres pierres qu’il avait foulées, ces quatre galets recelaient tous les composants constitutifs de l’humanité dans son immémoriale marche en avant, toutes les créatures possibles, toutes les choses imaginables ; ils portaient en eux d’imperceptibles traces de Watson comme de Mrs Hudson, indubitablement- et donc de lui-même.
Alors il leur attribua un emplacement précis, puis alla, ce jour-là, s’asseoir en tailleur dans l’espace ainsi délimité et vida son esprit de ce qui le troublait –la disparition définitive de deux êtres auxquels il tenait beaucoup. En même temps, éprouver cruellement l’absence d’un être, c’est aussi, d’une certaine manière, éprouver sa présence. Il inspira profondément l’air automnal du rucher et exhala avec lui ses remords (sérénité dans la pensée, sérénité de la psyché, tel était son tacite mantra – celui que lui avaient enseigné les lamas du Tibet) ; il sentit naître en lui un sentiment de clôture (…)”

Une profonde réflexion philosophique sur la vie, la mort, le vieillissement et le deuil se dissimule habilement dans cet ouvrage remarquable exempt de toute lourdeur.

Un livre si doux, triste et émouvant, d’une immense sensibilité
Merci infiniment à celle qui me l’a offert.

Critique par Keisha – Un éclairage original sur Holmes

Non, cet étrange et mélancolique roman n’est pas un n-ième pastiche d’une aventure de Sherlock Homes. En 1947, il a 93 ans et vit retiré au bord de la mer, écrivant encore et se passionnant pour ses ruches, dont la gelée royale est censée le maintenir en forme.
Holmes a besoin de cannes pour se déplacer et se rend compte que sa mémoire est défaillante.
« Tout ce qu’il avait sous les yeux (…) était devenu vaguement immatériel.(…) Est-il possible, interrogea-t-il, que je sois entré par erreur sur une propriété qui n’est pas la mienne? Comment suis-je arrivé jusqu’ici?(…)
Il fallait qu’il se concentre, qu’il ne se borne pas à recouvrer ses sens, mais qu’il surmonte aussi cette sensation de ne pas être en terrain familier – alors que cette allée, ce jardin même avaient été conçus par lui- (…). Si ses yeux voulaient bien se rouvrir, il reconnaîtrait sans mal ses chardons géants, ses parterres d’herbes aromatiques, il en était sûr. Ses paupières se soulevèrent enfin et ses jonquilles, ses buddleias, ses chardons, et plus loin ses pins lui apparurent. »

Il rentre juste d’un voyage au Japon, à la recherche d’une espèce rare d’angélique. Au cours de son périple qui les conduira jusqu’à Hiroshima, il s’efforcera de répondre aux attentes de son hôte dont il a connu le père mystérieusement disparu en Angleterre quelques décennies plus tôt.
Peu d’humour en fait dans ce roman, sauf cet indirect « Bien qu’allemande, au premier abord elle me fit plutôt bonne impression. » Mais une jolie et douce amertume teintée de réalisme.

Pourquoi cet intérêt pour les abeilles? Holmes est-il capable d’empathie et de sensibilité? Au travers d’une enquête remontant aux belles années du détective, le lecteur le découvrira.

Un roman inclassable, à la belle écriture, qui propose un éclairage original sur Holmes, cassant le mythe, s’intéressant plutôt à un homme vieillissant, ses contradictions, ses secrets, ses faiblesses.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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