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Critique par Sibylline – Les violettes de Mars
Trilogie berlinoise
Philip Kerr a rédigé trois excellents romans policiers tout à fait originaux en cela que leur action se situe à Berlin, à l’époque nazie, ce qui est tout de même plus rare que dans le Chicago des années cinquante. Cet ensemble est appelé «Trilogie berlinoise».
Pour ce premier volet de la trilogie, nous sommes en 1936 et Berlin s’apprête à recevoir les Jeux Olympiques. Hitler vient d’obtenir les pleins pouvoirs et le nazisme s’installe, broyant tout sur son passage avec une incroyable brutalité. Cependant, les Jeux Olympiques arrivent et Hitler désire encore préserver un semblant d’apparence vis-à-vis de l’étranger, aussi Berlin verra-t-elle quelques uns des premiers signes les plus affreux disparaître provisoirement et inversement, des livres interdits seront-ils brièvement à nouveau trouvables.
C’est à ce moment là exactement que débute l’action, alors que le nazisme serrait ses doigts de fer sur l’Allemagne. Une Allemagne qui comptait pourtant de nombreux intellectuels ou individualités démocrates, comme le héros, et qui n’en cédait pas moins chaque jour un peu plus de sa liberté la plus élémentaire.
Il y a un détective privé (Bernard Gunther, Bernie pour les intimes par ailleurs peu nombreux) ancien flic et ancien soldat du front turc, dont l’emploi habituel principal est de rechercher des «personnes disparues», problème fort répandu alors. Il y a une et même quelques belles femmes, des salauds (riches ou non, au pouvoir ou non), une bonne intrigue (tout de même pas introuvable) et des scènes d’action en nombre et qualité suffisants.
Tout est très bien raconté, dans un style vif et précis. Le héros est sympathique et présente une personnalité suffisamment consistante et complexe pour qu’on s’intéresse vraiment à lui. L’époque est prenante et nous vivons là une étonnante plongée dans la vie quotidienne. On apprend beaucoup, sans s’en apercevoir, alors qu’on est en fait accroché par l’intrigue.
C’était une époque terrible et hors norme, et les aventures de Gunther le seront aussi, de sa rencontre avec Goering à son séjour à Dachau; qui ne sont tout même pas des accidents que l’on rencontre communément dans les romans policiers.
Au cours de ses (més)aventures, Bernie rencontrera la femme de sa vie… et il la perdra. Il ne s’agira pas d’une amourette, il ne s’agira pas d’un top model, ni d’une agonie esthétique et émouvante dans ses bras, il s’agira d’un drame comme le sont le plus souvent les vrais: médiocre et incomplet, mais total.
Le titre original: «Les violettes de mars» était, sinon plus joli, du moins plus judicieux, (ainsi qu’on pouvait bien l’espérer). En effet, le titre français, l’ «été de cristal» semble faire référence à la terrible «nuit de cristal» qui n’eut lieu que deux ans plus tard, alors que les «violettes de mars» sont les nazis qui surgirent soudain de partout quand Hitler obtint les pleins pouvoirs en Mars 36.
* Philip Kerr a écrit plusieurs romans policiers, ainsi que de la science fiction. Il est né à Edimbourg en 1956. Il a fait, avec cette trilogie, oeuvre d’historien et de romancier.
L’été de cristal – Trilogie berlinoise – 1
La pâle figure – Trilogie berlinoise – 2
Un requiem allemand – Trilogie berlinoise – 3
La Mort, entre autres – Suite Trilogie berlinoise – 4
Une douce flamme – Suite Trilogie berlinoise – 5
Hôtel Adlon – Suite Trilogie berlinoise – 6
Vert-de-gris – Suite Trilogie berlinoise – 7
Prague Fatale – Suite Trilogie berlinoise – 8
Les Ombres de Katyn – Suite Trilogie berlinoise – 9
La Dame de Zagreb – Suite Trilogie berlinoise – 10
Les Pièges de l’exil – Suite Trilogie berlinoise – 11
Bleu de Prusse, Seuil – – Suite Trilogie berlinoise – 12
Critique par Le Bibliomane – 3 x un privé à Berlin
La vie des détectives privés n’est pas toujours des plus faciles.
S’ils excellent à démasquer les coupables lors d’affaires particulièrement alambiquées, leur vie privée est en revanche bien souvent un désastre. Veufs ou divorcés, ils accusent souvent un net penchant pour la bouteille, vice dont ils abusent entre deux filatures. L’entretien de leur domicile, le choix de leur tenue vestimentaire laissent souvent à désirer. Solitaires, désabusés, ils portent sur la société un regard empreint de cynisme et d’ironie.
C’est le cas de Bernhard Gunther, le personnage créé par Philip Kerr, un détective privé contemporain des célèbres Philip Marlowe et Sam Spade de Raymond Chandler et Dashiell Hammett.
Le contexte de ses investigations se trouve par contre bien loin de la Californie des années 30 et 40 où évoluent les deux célèbres détectives cités plus haut. L’univers de Bernhard Gunther c’est l’Allemagne, et plus précisément Berlin, entre 1936 et 1947 lors de cette période qui verra l’ascension et la chute du IIIè Reich.
Bernhard Gunther, ex-flic, est devenu détective privé suite à sa démission de la Kripo (Kriminalpolizei) au moment où tout fonctionnaire de police se devait d’appartenir au parti National-Socialiste. Gunther est en effet allergique à la montée du nazisme et au fanatisme ambiant qui semblent régner sur l’Allemagne de cette époque, sentiment qui ne lui attirera pas que des amis et lui vaudra même de se retrouver à Dachau.
Réunis en un seul volume intitulé «La trilogie berlinoise», on trouvera dans cet ouvrage – comme son nom l’indique – trois romans: le premier, «L’été de cristal» se déroule en 1936 au moment où se déroulent les Jeux Olympiques de Berlin. Le second: «La pâle figure» nous amène en 1938 à l’époque de l’annexion des Sudètes; et le troisième, «Un requiem allemand» nous fait découvrir Berlin et Vienne en 1947, alors que l’Allemagne en ruines est livrée à la convoitise des deux grandes puissances victorieuses que sont les États-Unis et l’Union Soviétique.
Trois romans donc, trois moments de cette sinistre période de l’histoire allemande qui donnent lieu à trois enquêtes où se mêlent meurtres, corruption, espionnage, disparitions et chantages, trois enquêtes se déroulant dans un climat lourd et oppressant qui fait toucher du doigt au lecteur ce que pouvait être la vie quotidienne dans l’Allemagne du IIIè Reich. On y suivra Bernhard Gunther dans ses investigations qui le mèneront des résidences les plus huppées des hauts fonctionnaires nazis aux taudis les plus abominables, des cabarets louches aux sinistres geôles de la Columbia Haus.
On y fera également la rencontre de personnages devenus tristement célèbres: Hermann Goering, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich, ainsi que le très controversé «archéologue» Otto Rahn qui apparaît ici sous son vrai jour, celui d’une fripouille arriviste dénuée de tout sens moral.
Avec cette «Trilogie berlinoise» Philip Kerr nous gratifie de trois polars de haute volée dont le contexte – original s’il en est – n’est pas le seul attrait. La maîtrise de la narration, la complexité des enquêtes, leur insertion et leurs implications dans le contexte historique et politique de l’époque en font des chefs-d’œuvre du genre.
Le polar étant un genre littéraire auquel je ne m’adonne malheureusement que trop rarement, je ne voudrais pas m’ériger en spécialiste du genre et juger quels sont les bons et les mauvais auteurs dans cette catégorie. Je ne peux cependant que conseiller cette trilogie qui m’a passionné de bout en bout.
Critique par Eeguab – Le privé d’Unter den Linden
Ce commentaire évoque les 3 premiers tomes
Ce livre m’a été prêté et m’a vraiment beaucoup plu. Cette trilogie berlinoise regroupe trois aventures de Bernie Gunther, privé allemand juste avant et juste après la Guerre: « L’été de cristal », « La pâle figure » et « Un requiem allemand ». Ces livres ont été écrits au moment de la chute du Mur.
Bernhard Gunther est un privé qui a quitté la police officielle et ses nombreux services dans cette Allemagne 36 qui prépare la Nuit de Cristal et autres horreurs. Peu favorable au nouvel ordre mais prudent comme Philip Marlowe, Gunther se garde bien de prendre partie ouvertement. Les trois livres sont compliqués à souhait comme toute investigation d’un enquêteur à son compte et je n’ai pas souvent terminé ce genre de polars en étant sûr d’avoir absolument tout compris sur les victimes et les assassins. Mais comme toujours peu importe. L’important c’est surtout l’ambiance ramassis d’opportunistes vénaux, de grosses légumes corrompus et de besogneux du trafic. C’est ce chacun pour soi avant le déluge annoncé, cet instant où l’on se doute que le crépuscule suivra très vite une aube radieuse.
Notre ami Gunther n’échappera pas à certaines compromissions, plutôt moins que la moyenne, ce qui nous suffit pour l’adopter. Les codes du noir sont bien présents mais si Spade, Marlowe et consorts ont fort à faire avec trafiquants notoires, gangsters de haut vol avec comparses obtus Gunther, lui, se collète avec des voyous tout aussi gangsters et trafiquants mais célèbres en ces années de superproduction du film d’horreur. Ces premiers rôles se verront d’ailleurs récompensés, mais pas tous, au festival de Nuremberg où leur carrière avait commencé une douzaine d’années plus tôt.
Les femmes ici sont entraîneuses (version soft), les faux papiers réversibles comme les consciences, et des Américains peu regardants croisent des Russes brutaux et des certificats de dénazification ont parfois battu des records de vitesse. Nous sommes maintenant en 1947. J’aime cet adage, je me le suis d’ailleurs attribué bien que je l’aie probablement pompé quelque part:« Les guerres sont terribles, les avant-guerre pas commodes et les après-guerre sinistres. Heureusement il y a le reste. » Mais du reste Gunther n’en a guère, très occupé après 36 et 38 à Berlin, dans la Vienne de 47, plus très impériale,mais archivénale, interlope et n’ayant rien à envier à la capitale en cendres du Troisième Reich, celui qui devait durer 1000 ans et dura… toujours trop longtemps. Le vieux cinéphile lisant « Un requiem allemand » ne pourra ignorer « Le troisième homme », sauf que pour la classe d’Orson Welles ou l’élégance de Joseph Cotten, on repassera. Fort pertinemment Philip Kerr termine son roman au Café Mozart, reconstitué pour le film de Carol Reed.
Critique par Tistou – Premier épisode de la Trilogie berlinoise
Un aparté tout d’abord ; étonnant que ce soit un romancier écossais qui s’empare de cette période de l’Histoire et du lieu, l’Allemagne nazie. Etonnant? Un peu moins quand on apprend que Philip Kerr, outre qu’il est écossais est d’abord historien.
Trilogie? Oui, il y a trois romans (« L’été de cristal », « La pâle figure », « Un requiem allemand ») qui se suivent, chronologiquement en tout cas même si des périodes sont sautées, et avec un héros récurrent : Bernhard Günther, alias Bernie pour les intimes, une espèce de Nestor Burma des années 30 – 40, à l’accent totalement germanique!
Nous sommes en 1936, à Berlin tant qu’à être en Allemagne, et un sinistre Adolf Hitler est au pouvoir. Il s’apprête à rouler des mécaniques puisque les Jeux Olympiques vont avoir lieu dans sa capitale. Et le parti nazi prend de plus en plus d’importance. Bernie fut commissaire à la Kripo (Kriminal Polizei) et on comprend qu’il trouvât judicieux de démissionner lorsque le Parti National Socialiste prit tellement d’importance… Et que fait un flic qui démissionne – ou un flic déchu, comme on en rencontre tant dans les polars? Il devient détective privé. Evidemment.
Bernie est donc détective prive dans cette Allemagne détestable de l’année 1936, et son boulot consiste largement à retrouver la trace de personnes disparues – et ça ne manque pas en cette période, notamment des personnes juives!
La grande originalité de cette trilogie est l’absence de dichotomie remarquable, notre Bernie étant plutôt méfiant vis-à-vis du pouvoir qui s’affirme mais… bon…
On va donc lui confier une enquête qui va l’emmener loin. Beaucoup plus loin qu’il ne l’imaginait, l’obligeant même, pour sauver sa peau, à accepter d’être interné en camp de concentration, à Dachau, afin de mener à bien les suites de cette enquête! Cet épisode m’a paru pousser le bouchon un peu loin et se désolidariser un peu du corps de l’histoire entamée mais… bon… c’est l’occasion d’en apprendre un peu car Philip Kerr, qu’on se le dise, n’est pas historien pour rien. Il fait agréablement passer sa pédagogie via une intrigue très honorable et crédible. Son évocation du Berlin de 1936 est très vivante et documentée.
“Ce soir-là, on eût dit que tout Berlin s’était donné rendez-vous à Neukölln, où Goebbels devait parler. Comme à son habitude il jouerait de sa voix en chef d’orchestre accompli, faisant alterner la douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la trompette. Des mesures avaient par ailleurs été prises pour que les malchanceux ne pouvant aller voir de leurs propres yeux le Flambeau du Peuple puissent au moins entendre son discours. En plus des postes de radio qu’une loi récente obligeait à installer dans les restaurants et les cafés, on avait fixé des haut-parleurs sur les réverbères et les façades de la plupart des rues. Enfin, la brigade de surveillance radiophonique avait pour tâche de frapper aux portes des appartements afin de vérifier si chacun observait son devoir civique en écoutant cette importante émission du Parti.”