Critique par Fée Carabine – Instantanés mélancoliques
Né en 1886 près de Morioka (au Nord-Est du Japon), Ishikawa Takuboku compte parmi les auteurs qui, au tournant du XIXème et du XXème siècle, surent insuffler une nouvelle vie aux formes classiques de la poésie japonaise et plus particulièrement au tanka, une forme courte comprenant 31 syllabes traditionnellement réparties selon une métrique stricte cinq/sept/cinq/sept/sept.
Dégageant la forme du tanka de cette métrique fixe, Ishikawa Takuboku en a aussi renouvellé les thèmes. Les textes rassemblés ici, et qui correspondent à la première partie de son premier grand recueil paru en 1910 sous le titre Ichiaku no suna (« Une poignée de sable »), donnent une large place à l’expression d’un individualisme plutôt inhabituel dans la société japonaise du début du XXème siècle.
Chacun des tankas qui constituent ce recueil se fait ainsi l’écho d’une sensation, d’une émotion, d’un bref instant illuminé par la contemplation d’une image – autant de perles parfois futiles et souvent teintées d’égotisme. Encore y a-t-il une forme d’ironie dans le choix de ce titre: « L’Amour de moi ».
Très tôt en butte à la pauvreté et à la maladie – la tuberculose qui l’emportera en 1912, à 27 ans à peine -, Ishikawa Takuboku laisse ici à plusieurs reprises libre cours au découragement, à la tristesse et à la mélancolie que lui inspire sa vie si peu conforme à ses aspirations…
Extraits:
« Un morceau de bois échoué au pied de la dune
Un coup d’oeil alentour
j’essaie de lui dire quelques mots » (p. 17)
« Comme le pauvre chant de cet insecte
on ne sait où
ce jour encore sans réconfort » (p. 21)
« Comme les joues brûlantes contre la neige
délicatement rassemblée
j’aimerais aimer » (p. 29)
« Sans raison
l’envie de courir à travers les prés
à bout de souffle » (p. 40)
« Mon ami, ne sois pas dégoûté
par les mendiants
J’étais comme eux quand j’avais faim » (p. 45)
« Il ne se passe rien
je prends aisément du poids
certainement quelque chose me manque » (p. 50)