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Critique par Sibylline – Un festin de gourmet
Il faut voir, dans les magazines, les photos d’Alberto Manguel devant sa belle bibliothèque. Et nous sommes ravis de l’y voir justement, nous qui jonglons le plus souvent avec quelques étagères surchargées et des piles de livres qui s’écroulent à même le sol. Il nous offre l’image du «lettré». Nous sommes tous heureux de reconnaître en lui notre représentant. Le représentant des lecteurs, les vrais, ceux qui n’écrivent même pas de livre. Quoique lui? il triche un peu. Mais enfin, il écrit juste pour dire qu’il lit. Donc oui, c’est bien toujours du côté des lecteurs qu’il paraît être.
Il nous parle de la lecture, de notre passion commune, de notre pêché mignon, de notre délice égoïste. Il nous parle de nous dans ce que nous avons de meilleur. Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse nous être plus agréable ?
Et c’est pourquoi nous le lisons toujours avec le plus grand des plaisirs. Ce faisant, d’ailleurs, nous nous cultivons, et toujours en nous régalant. Car, une fois compris que nous adorons qu’on nous parle de la lecture, les portes s’ouvrent sur un sujet tout de même bien vaste et tellement riche pour l’intellect ! Toutes ses facettes sont bonnes, du rôle du cerveau dans l’acte de lire à celui des lunettes et de leur inventeur (fin XIIème), de l’histoire de l’écriture à travers les âges à celle des lectures publiques du 19ème, du rôle politique de la lecture (arme de libération des esclaves) à son rôle privé et même intime. Tout, tout nous plaît et nous captive sur ce thème d’autant que toujours dans ces récits, le lecteur, c’est-à-dire nous même ou un frère auquel il nous est si facile de nous identifier, a le plus beau rôle.
Et puis, dire aussi que j’ai aimé que ce livre s’intitule « une » histoire de la lecture et non « L »’ histoire de la lecture, assumant et mieux, revendiquant ainsi tout ce que cet ouvrage avait de personnel et de subjectif, pour ne pas dire sentimental. Une finesse à laquelle tous les amateurs auront été sensibles.
Ah vraiment, Manguel sait à qui il parle et pourquoi et, se faisant plaisir à lui-même, il nous ravit tous par la même occasion.
Allez, je vous cite un tout beau passage, il faut choisir et ce n’est pas aisé car j’en ai tout de même coché un assez grand nombre, mais celui-là vraiment, parle à mon âme : « Les livres rangés sur mes étagères ne me connaissent pas avant que je les ouvre, et pourtant je suis certain qu’ils s’adressent à moi en m’appelant par mon nom : ils attendent mes commentaires et mes opinions. Je suis pressenti dans Platon comme je le suis dans tous les livres, même dans ceux que je ne lirai jamais. »
Critique par Cuné – Un indispensable
Une histoire de la lecture car Alberto Manguel ne prétend pas l’avoir retracé toute depuis la nuit des temps, mais son travail de recherches est phénoménal.
Ne l’est pas moins la fluidité de son essai, qui nous pousse à tourner les pages encore et encore tant on veut « savoir la suite », comme dans un roman de grande qualité.
Bref c’est un essai savant mais non pédant, instructif mais non rébarbatif, une mine d’or remplie de trésors. (ouais c’est des rimes)
Lisez et relisez une histoire de la lecture, par petits bouts, d’une traite, au hasard d’une page, toute votre vie. Vous apprendrez toujours quelque chose, ça vous parlera toujours de vous.
J’ai relevé énormément de passages. Au prix d’un effort surhumain, je ne vous en livre qu’un, parmi les plus doux à mon cœur :
« Virginia Woolf, dans une rédaction lue en classe, a fait écho à […] Richard de Bury :
J’ai quelque fois rêvé, écrivait-elle, qu’à l’aube du jugement dernier, quand les grands conquérants, les juristes et les hommes d’Etat viendront recevoir leurs récompenses _ leurs couronnes, leurs lauriers, leurs noms gravés, indélébiles, sur le marbre impérissable _ le Tout-Puissant se tournera vers Pierre et dira, non sans une certaine envie, quand il nous verra venir avec nos livres sous le bras :
Vois, ceux-là n’ont pas besoin de récompense. Nous n’avons rien ici à leur donner. Ils ont aimé la lecture. »
Critique par Walter Hartright – Quelques noms bien connus…
Ce petit essai, une amie me l’avait offert il y a vingt ans. A l’époque, je commençais seulement à dévorer les pages imprimées et, à la vue d’une prose un peu rébarbative, je l’avais mis de côté. Pour plus tard.
De temps en temps, je l’ouvrais au hasard, piquait une ou deux phrases. Pas convaincu. Les années passaient. Je considérais le petit volume avec suspicion. Pas encore. Les mois sont devenus deux décennies.
Puis, je me suis lancé. Finalement, 300 pages ce n’est pas un calvaire.
Et c’est tout sauf un chemin de croix.
Car Alberto Manguel est un lecteur avant de porter le costume de l’écrivain. Comme tous les romanciers. Comme nous.
On sait lire avant de savoir écrire.
Et, tout au long de ces pages, il se pose toujours en tant que lecteur. Cela donne une impression de décalage, comme si c’était Monsieur tout-le-monde et non un érudit qui glosait sur la lecture.
Il existe des milliers d’histoires de la littérature, surement tout autant de manuels pour apprendre à écrire (comme si on pouvait en donner la recette), mais plus rarement on parle de la lecture et des lecteurs.
Si le livre a traversé les siècles, c’est bien qu’il comporte quelque chose de magique et cette magie, tout comme un prestidigitateur, a besoin d’un public pour exister.
L’écrivain n’est rien sans ses lecteurs. Sans son lecteur, car le fait de lire implique forcément une intimité qui isole cette relation tout en augmentant le rapport si particulier entre celui qui parle par ses mots et celui qui les interprète.
Cette Histoire de la Lecture se lit donc comme un roman. Elle est truffée d’anecdotes. On y apprend quantité de choses. Manguel est un féru d’histoire. Un passionné qui sait faire partager son amour des livres en présentant une kyrielle de lecteurs connus ou pas, tous passionnés eux-mêmes par les mots et la façon de les agencer.
Tout y passe ou presque. Depuis les balbutiements des scribes, à une époque où on lisait à haute voix. Lire en silence ne vint qu’après. Saint Augustin fut l’un des premiers à lire pour lui-même, renforçant ce lien si particulier entre un auteur et son lecteur.
Avant le 6ème siècle, la ponctuation n’existait pas. Les mots n’étaient pas séparés. Je vous laisse imaginer la difficulté d’avaler Platon ou Sénèque dans ces conditions. A cette lointaine époque, il était de toute façon mal vu de posséder des livres; un texte devait s’apprendre, pas se garder dans une bibliothèque.
Manguel évoque bien entendu les autodafés, la censure, les lieux de lecture, les lectures interdites ou orientées, les formes du livre, les balbutiements de l’apprentissage, les oracles et prédictions, les problèmes de traduction et, bien entendu la mémorisation des livres par cette anecdote d’un prisonnier des camps de la mort qui servait à ses compagnons de bibliothèque, réécrivant ainsi Fahrenheit 451.
On croise aussi quelques noms bien connus au fil des pages, entre autre Rilke et Borges.
Evidemment, tel essai regorge de conseils de lecture sans vraiment le dire. De quoi remplir une partie de sa bibliothèque et surtout son esprit, car il ne sert à rien de collectionner les livres seuls, encore faut-il les apprivoiser, les ingurgiter, les laisser infuser dans sa mémoire.
Aller jusqu’à les apprendre par cœur ?