Les armes secrètes – Julio Cortázar

Critique par Mouton Noir – Entre Poe et Kafka

Première plongée dans l’univers de Cortázar, écrivain d’origine argentine mais ayant passé une bonne partie de sa vie en France, c’est dans cet univers, à Paris et dans sa banlieue plus précisément, que se situent justement ces cinq histoires peu banales.

Dans « lettres de Maman », le narrateur qui vit à Paris avec sa compagne, s’aperçoit au détour d’une phrase dans une lettre de sa mère venue d’Argentine, que celle-ci semble perdre la tête puisque qu’elle lui parle de son frère mort comme s’il vivait encore. Chaque lettre et chaque retour en arrière initient la sourde angoisse d’un fantastique tissé en filigrane.

Dans «Bons et loyaux services», une dame d’un certain âge se voit confier d’étranges tâches par des bourgeois parisiens. On aborde ainsi le thème de la lutte des classes, du mépris de certaines qui finissent par considérer les domestiques comme des meubles. La dame se souviendra de celui qui lui a parlé un peu comme à un être humain bien que le lecteur sent très bien cette tendresse tout aussi factice.

Dans « les fils de la vierge », un photographe est témoin d’une scène ambigüe entre une femme un jeune garçon et un homme en voiture. Il capture l’instant, l’agrandit et la vie prisonnière semble s’animer.

La plus longue histoire, «l’homme à l’affût», raconte l’histoire d’un saxophoniste de jazz au comportement cyclothymique, du point de vue de son critique le plus proche puisqu’il lui a consacré une biographie. Le narrateur sent bien que des choses lui échappent dans l’univers de ce musicien :
«Personne ne peut savoir ce que poursuit Johnny mais c’est ainsi, c’est là dans Amorous , dans la marijuana, dans ses discours absurdes, dans ses rechutes, dans le petit livre de Dylan Thomas, dans cette façon d’être un pauvre diable qui élève Johnny au-dessus de lui-même et en fait une absurdité vivante, un chasseur sans jambes et sans bras, un lièvre qui court derrière un tigre endormi.»
Il y a des visions qu’il ne comprend pas, comme ces urnes funéraires au milieu d’un champ, dont les descriptions successives rappellent certains tableaux de Magritte, tout ça pour dire que la musique reste un mystère vivant, un chant du cygne en attendant la mort, un univers où n’entrent pas qui veut puisqu’il est trop personnel. On notera que l’auteur dédicace cette nouvelle ainsi « In memoriam Ch.P. » Le musicien concerné étant saxo alto, on pense évidemment à Charlie Parker, un des inventeurs du Bop.

La dernière nouvelle, «les armes secrètes», qui donne son titre à l’ouvrage, plus classique dans la narration et dans le thème mais là encore, l’auteur joue sur la névrose obsessionnelle d’êtres qui ne l’ont pas voulu, prisonniers de leur passé, de leurs actes ou de leurs désirs qu’il est impossible d’accomplir.

C’est un peu la clé de voûte de ce recueil qui rappelle souvent Poe ou Kafka. La lecture en est assez déroutante et c’est là un de ces charmes, tous ces plans qui s’empilent.

Critique par Cogito Rebello – Un talent éblouissant

Splendide Julio Cortázar!
Ecrivain argentin (1914-1984), Julio Cortázar sera naturalisé français en 1981 (en même temps que Milan Kundera, par François Mitterand).

Vous pensez ne pas le connaître et vous avez tort. Peut-être avez-vous, sans le savoir, un jour approché l’univers de Cortázar. « Blow-up » d’Antonioni (tiré de « Las Babas del Diablo »), « Le Grand Embouteillage » de Comencini et « Week-end » de Godard sont issus des œuvres de Julio Cortázar.

De Julio Cortázar, Adolfo Bioy Casares, écrivain argentin comme lui et son contemporain, dira:« Yo creo que es uno de los mejores escritores argentinos y con eso estoy diciendo que es uno de los mejores de la literatura universal. Asombrosamente, este país es un país de buena literatura. Digo asombrosamente porque es un grado anormal de este país, pero debo reconocer que desde los tiempos de Ascasubi o Hernández, siempre fue buena. »
Pour ceux qui ont totalement zappé les cours d’espagnol au collège, je vais tenter une traduction approximative (¡disculpe!) : « Je crois que c’est l’un des meilleurs écrivains argentins et par ceci, je veux dire que c’est l’un des meilleurs de la littérature universelle. Étonnement ce pays est un pays de bonne littérature. Je dis étonnement parce que c’est une particularité anormale de ce pays, mais je dois reconnaître que depuis l’époque de Ascasubi ou Hernández, elle a toujours été bonne. »

A. Bioy Casares et J. Cortázar écriront presque la même histoire (« la puerta condenada » pour Cortázar et “Un viaje o El mago inmortal” pour Bioy Casares) et Bioy Casares commentera ainsi cette coincidence: « Fue una cosa extrañísima. (…) Creo que Cortázar y yo lo sentimos como una prueba del destino, de que éramos amigos. » (« Ce fut une chose très singulière. Je crois que Cortazar et moi l’avons interprétée comme un signe du destin attestant que nous étions amis. »)

Quand on parle de Bioy Casares, on pense en filigrane à Jorge Luis Borges. Également contemporain de Julio Cortázar, Borges considérait Cortázar comme un grand écrivain. En 1946, Julio Cortázar, alors inconnu, lui apporte « Casa tomada » dans l’espoir que Borges lui accorde un intérêt. Deux jours plus tard, Borges lui annonce qu’il publiera « Casa tomada » dans la revue qu’il dirige « Los Anales de Buenos Aires ». Cortázar quittera l’Argentine et ne reverra Borges qu’au Musée Del Prado, bien plus tard, par le plus grand des hasards. A Cortázar qui lui rappelait, en le remerciant, la publication de « Casa tomada », Borges rit et lui répondit: « Bueno, no me equivoqué, fui profético. » (« Bien, je ne m’étais pas trompé, j’ai été prophétique. »)

Alfredo Bryce-Echenique, auteur péruvien: « C’est à Paris que je suis devenu écrivain, en croisant mon maître adoré Julio Cortázar, qui habitait rue Séguier. Je l’ai suivi sans oser lui parler, mais sa présence m’a fasciné.  »

Une écriture très épurée, très nette et parfaite dans le mouvement qu’elle veut donner à l’histoire; parfaite dans l’impression qu’elle veut laisser au lecteur. Ce recueil de nouvelles titré « Les armes secrètes » pourrait être découpé en trois parties.

La première relève du fantastique pur et on y trouve entre autres, « Axolotl », qui a mon avis est un bijou. Cette histoire que l’on pourrait qualifier de totalement « loufoque » est une splendide leçon sur les limites que l’empathie se doit de tenir. Beaucoup d’entre nous ignorent comment déterminer le début et la fin raisonnable de l’empathie qu’il nous arrive d’éprouver envers quelqu’un.
Pour certains, cela peut aller jusqu’à un envahissement quasi total, jusqu’à se perdre définitivement dans l’Autre. C’est en lisant Axolotl, que les empathiques débordants comprendront jusqu’où peut mener l’identification.

Au delà de la dangerosité d’une telle dissolution dans « Autrui », Julio Cortázar démontre à quel point la fascination a souvent déjà un pied dans l’obsession.

La seconde partie, rassemble des nouvelles où le fantastique s’introduit dans le réel. C’est le cas en particulier de la nouvelle éponyme « Les armes secrètes ». C’est un genre plus difficile à cerner car l’intrusion du fantastique dans le réel est déroutante. Julio Cortázar a une façon bien particulière d’amalgamer les deux si bien que jusqu’au bout on se demande où se trouve la frontière.
Vous l’aurez compris, l’auteur met un point d’honneur a n’en mettre aucune (d’où la confusion pour nous lecteurs) car son propos est justement de démontrer que cette frontière n’est pas discernable.

La troisième et dernière partie est un ensemble de nouvelles où seul le réel intervient et c’est dans celle-ci que vous trouverez « L’homme à l’affût » ou l’histoire d’un saxophoniste de jazz, ressemblant étrangement à Charlie Parker et si ce n’est le cas, l’histoire lui est tout du moins dédiée (« In memoriam Ch. P. »)
Cortázar excelle dans l’élaboration de personnages complexes et perdus. Il y met tant de chair et de sang, tant d’angoisses et d’espoirs, que croire qu’ils n’ont tout simplement jamais existé est très difficile.

A l’issue de ce livre, vous n’aurez plus aucun doute sur le talent éblouissant de cet auteur et les écrivains en herbe auront sûrement trouvé un maître, intimidant certes, mais ne faut-il pas toujours viser plus haut pour atteindre son objectif?

Critique par Jehanne – Troisième recueil

Le troisième recueil de nouvelles de Julio Cortázar, « Les Armes secrètes », est l’un des plus célèbres.

Le recueil débute par « Les Lettres de maman » : un couple, Laura et Luis, est hanté par le souvenir de Nico, le frère de Luis, premier fiancé de Laura, que Luis lui a pris, profitant de circonstances telles que la timidité de Nico, et sa maladie. Les deux jeunes gens se sont mariés quelques semaines après sa mort dans la réprobation générale et ont fui comme des coupables pour aller vivre à Paris.
Deux ans plus tard, Luis constate que Laura et lui ne parlent jamais de Nico, silence criant qui favorise la présence écrasante de l’absent .
Lalors, la mère de Nico, restée à Buenos Aires, qui leur écrit régulièrement, se met à parler de son fils défunt comme s’il existait encore et annonce sa prochaine visite …

Une autre nouvelle, « L’homme à L’affût » a aussi été publiée séparément dans la collection de poche Folio- 2 euros
Bruno est le biographe de Johnny, saxophoniste de jazz, suicidaire et victime d’hallucinations. C’est le récit de l’impossible dialogue entre le critique et l’artiste, et de tous les malentendus qu’ils endurent.
« Ce que je pense est au-dessous du plan où le pauvre Johnny essaie d’avancer avec ses phrases tronquées, ses soupirs, ses rages soudaines et ses pleurs… il est la bouche, lui, et moi l’oreille… tout critique, hélas est le triste aboutissement de quelque chose ».
L’artiste lui, se situe toujours dans les commencements.
Cependant Bruno va tenter d’appréhender la quête musicale de Johnny avec des mots que ce dernier ne pourra que critiquer. Cet entretien infini et impossible prend place dans la vie quotidienne de Johnny, vie déréglée, précaire, chaotique, pleine de drogue d’alcool et de séjour psychiatriques avec de fréquents changements de compagne de vie, comportements de destruction : il détruit parfois son saxo quand il ne l’abandonne pas plus ou moins volontairement sans pouvoir le retrouver; on doit toujours lui procurer un nouvel instrument à la dernière minute ; parfois il joue très bien mais s’éclipse avant la fin du concert ou de l’enregistrement, parfois il refuse de jouer etc. Tous ces détails peu surprenants d’ailleurs sont consignés et répétés par Bruno, qui ressent les évolutions de la création difficile que Johnny ressent comme ratée. En écho le biographe évoque parfois en deux ou trois phrases de dérision sa propre vie bourgeoise et bien réglée.

Placer ses histoires dans la réalité quotidienne la plus banale et y faire pointer l’étrange (parfois l’on peut opter pour le surnaturel mais rien ne l’entérine a priori) qui envahit progressivement tout le paysage, est un des secrets de la réussite de l’auteur et de l’attachement immédiat que l’on éprouve à la lecture de textes qui ne sont pas d’une lecture facile si l’on veut y porter toute l’attention qu’ils méritent.

Ici l’élément « fantastique » ce sont les impressions de Johnny, ses voyages dans un imaginaire qu’il éprouve comme réel et que la musique lui a apporté (décalages et distorsions dans sa perception de la temporalité). Bruno tente de traduire ses propos confus en un langage de critique musicale « politiquement correct » :
« Johnny a abandonné le langage hot- en vigueur jusque dans les années 40-parce que ce langage violemment érotique était trop passif pour lui. Chez lui le désir s’oppose au plaisir et l’en frustre parce que le désir le pousse à aller de l’avant, à chercher et l’empêche de considérer comme des audaces les trouvailles de jazz traditionnel « 

De telles phrases provoquent le fou rire, l’irritation ou la colère du créateur qui lui, n’a pas de démarche rationnelle ni de conception esthétique, ne sachant qu’une chose : que sa musique lui a changé la vie pour le pire surtout, rarement pour le meilleur :« sûr de quoi, dis-moi un peu, alors que moi, pauvre diable pestiféré j’avais assez de conscience pour sentir que le monde n’était qu’une gelée, que tout tremblait autour de nous et qu’il suffisait de faire un peu attention, de s’écouter un peu de se taire un peu, pour découvrir les trous ».

Johnny a un avantage et un inconvénient sur la plupart des artistes : il ne s’est jamais pris pour un personnage important, n’est pas entré dans le jeu de ses admirateurs. Il leur a résisté.
Dans cette résistance pourtant, on soupçonne que Johnny n’a pu éviter le piège : il est entré dans le jeu de Bruno, négativement, jouant les artistes maudits à sa manière, faisant tout pour gâcher son art.. Ainsi résiste t-il à son biographe, maladroitement mais non sans se faire un peu entendre jusqu’à ce que Bruno finisse par douter réellement de lui : Johnny n’est qu’un pauvre type, faillible et même pas bon musicien, un pauvre diable, une victime lâche et souffreteuse.

Puis Bruno se reprend : la musique de Johnny est géniale, bien sûr, « un jazz qui se situe sur un plan apparemment désincarné où la musique se meut enfin en toute liberté comme la peinture délivrée du représentatif peut enfin n’être que peinture… cette musique que j’aimerais pouvoir qualifier de métaphysique, Johnny semble vouloir l’utiliser pour s’explorer lui-même pour mordre à la réalité qui lui échappe un peu plus tous les jours » .
Sans parvenir à donner de lui en tant qu’homme une image avantageuse.

Ces deux personnes n’en font qu’une, finit-on par penser : c’est l’écrivain lui-même qui se débat avec ses intuitions qu’il doit se résoudre à rédiger non sans les déformer, non sans se trahir. C’est la vie qu’il mène imaginairement comme personnage, en face de sa réalité bourgeoise et bien réglée qui compte si peu pour lui qu’il l’évoque de temps à autre avec une ironie désenchantée. L’existence de Johnny dans laquelle il tente d’intervenir est bien plus réelle. Et lorsque Johnny meurt, faute d’être juste, le livre de Bruno a quelque chose d’un achèvement.

Dans ces conditions, le créateur et celui qui tente d’interpréter sa propre pensée n’est jamais le même et jamais tout à fait un autre.

On vérifie cette intuition dans la nouvelle suivante qui donne son titre au recueil « Les Armes secrètes » : un homme qui vient de rencontrer une jeune femme qui compte pour lui, commence à ressentir les intrusions d’une conscience qu’il ne connaît pas et qui prend partiellement de la place au point qu’il ne peut plus le repousser. Cette conscience appartenait au précédent amant de la jeune femme lequel n’était pas précisément un ami…


« Les Fils de la vierge »

Antonioni s’est inspiré de cette nouvelle pour « Blow up » : je me souviens d’un photographe de mode, David, qui, dans un parc londonien, prend une photo de couple et s’aperçoit, l’image développée tirée et agrandie, qu’il s’agissait d’un crime et non de jeux amoureux…

Le narrateur de la nouvelle, Michel, qui parle de lui à la 1ère et troisième personne, tantôt relate ce qu’il fait, tantôt le critique (« A quelle personne faudrait-il raconter cela? » et « qui a vu? ») prend des photos en amateur et ne souhaite pas faire de l’esthétique (il est traducteur d’espagnol de son métier) mais lui aussi tient à dérober une part de réel, à traquer, à voir ce qu’il ne devrait pas voir, et le retenir.

Jusqu’ici il s’est borné à surprendre de petits spectacles étranges, des moments d’instabilité « immortaliser un chat en équilibre précaire sur une vespasienne »…
Ce jour-là il est intéressé par un couple à la pointe de l’île St Louis (ici l’action est à Paris) un garçon très jeune et une jolie femme qui pourrait être sa mère : jeux amoureux qu’il regarde « s’il y a une chose que je sais faire c’est regarder » inventant une petite biographie pour l’adolescent et s’amusant à supputer jusqu’où iront les choses, s’il perdra sa virginité ou non avec cette femme, et imaginant la suite de l’histoire.

Quand il a pris enfin son cliché, la femme l’a vu, la femme réclame l’image, le garçon s’enfuit, un homme plus âgé apparaît…
« Ils me regardaient, lui surpris et interrogateur, elle irritée et hostile de corps et de visage, qui se savaient volés, ignominieusement pris dans une petite image chimique »
; le récit le dit et le répète à l’envi sous diverses formes prendre la photo c’est aussi un crime, c’est voler les gens, voler leurs corps leur image, et peut-être leur âme.

Et l’on ne prend la photo que pour surprendre (et prendre) quelque spectacle interdit. Celui qui prend la photo est criminel, voleur, ceux qui se font prendre se rendent également coupables de quelque étrangeté qui justifie précisément qu’on les « prenne », étrangeté qui devient un délit au moins dans l’interprétation du photographe.

La photo en question n’est pas récupérée, et il ne s’agissait pas non plus d’un crime de sang. Tout au plus un couple pervers voulait-il corrompre un mineur, lui promettant de l’argent ; c’est ce qui apparaît sur l’image qui hante le photographe ; une interprétation à partir des gestes, des expressions et de ce qui advint lorsque son cliché fut pris. « cette femme n’était pas là pour son plaisir, elle n’encourageait pas, ne caressait pas pour s’emparer de l’ange dépeigné et s’amuser ensuite de sa terreur de sa grâce haletante… le maître véritable attendait… il n’était pas le premier à envoyer une femme en avant-garde pour lui ramener des prisonniers ligotés de fleurs ». Mais le photographe a interrompu la manœuvre et sauvé le garçon pour cette fois. Ce spectacle interdit peut s’énoncer « un homme et une femme persécutent un enfant qui veut faire comme les adultes » variante de la scène du crime imaginée par Antonioni.

Pourquoi « les fils de la vierge »? Ici une ambiguïté surgit du fait qu’en français fils (ficelles) et fils (rejeton) sont homonymes. Ce n’est pas le cas en espagnol.

Le garçon aux prises avec les adultes mal intentionnés « prit se jambes à son cou … et se perdit comme un fil de la vierge dans l’air du matin » dès lors que l’altercation au sujet du cliché détourne l’attention de ses persécuteurs supposés. « Mais les fils de la vierge s’appellent aussi dans mon pays la bave du diable et Michel dut supporter de minutieuses invectives… de la part de la femme et l’homme en gris. » Double signification : cheveux d’ange (le garçon est plusieurs fois comparé à un ange) et aussi fils minuscules secrétés par les araignées pour tisser leur toile. Le narrateur se laisse prendre dans le filet où les deux adultes voulaient faire tomber le jeune garçon. Ce filet, c’est aussi et en définitive lui qui le tisse, écheveau inextricable de rêveries fascinées par les images vues et ce qu’elles supposent de luttes d’enfant ange avec les parent-démons, de crime, de perte de virginité…

Critique par Mapero – Entre fantastique et réalisme

Titre original : Las armas secretas

Pour aller vite, disons que ce recueil paru en 1963 groupe des histoires de mort, qu’on y passe du fantastique au réalisme, et qu’on y consomme régulièrement du cognac.

Une majorité de textes se déroule à Paris. Dans la nouvelle qui donne son titre à l’ensemble, “Les armes secrètes”, Pierre et Michèle quittent le Quartier latin pour passer quelques jours dans une villa de banlieue ; ressurgit « une histoire classée depuis longtemps » avec à la clef ce qui semble être un règlement de compte du temps de la guerre. “La nuit face au ciel” mélange brillamment réel et imaginaire : un motard accidenté rêve du sacrifice aztèque qui l’attend à moins que la victime sacrificielle ne rêve d’accident fatal à moto. Dans “Axolotl” le narrateur fréquente le Jardin des Plantes et se sent proche des axolotls dans l’aquarium! Avec “Les fils de la Vierge” on va au bord de la Seine. Un photographe a cadré un couple dans son objectif. La femme est mécontente. Le jeune homme s’enfuit. À scruter de plus près le négatif, le photographe imagine une autre interprétation. « Personne ne saura jamais comment il faudrait raconter cette histoire » écrit l’auteur en commençant. Pourtant c’est ce qui a inspiré “Blow Up” à Antonioni. “Bons et loyaux services” met en scène une employée de maison. Elle est engagée pour garder les chiens durant une réception. Puis recrutée pour interpréter la mère d’un défunt lors de ses obsèques. Sa prestation est d’autant plus remarquable qu’elle avait rencontré le défunt lors de son engagement précédent et l’avait trouvé sympathique. Pour “Lettres de maman” : voir le commentaire de « Gîtes”.

D’autres nouvelles se situent en Argentine. Dans “Circé” le match Firpo-Dempsey sert de datation. Si Délia, contrairement à Circé, ne change pas en pourceaux les compagnons d’Ulysse, elle a déjà envoyé dans l’autre monde deux fiancés. Mario, le troisième, évitera-t-il ce sort funeste? Dans “Les Portes du Ciel”, Célina vient de mourir et Mauro est un veuf inconsolable. Le narrateur, ami du couple, va bientôt l’emmener au dancing à Palermo et Célina leur apparaîtra… Dans “La lointaine”, Alina Reyes a le vision d’une femme qui l’attend à Budapest ; son voyage de noces lui permettra d’aller vérifier le funeste pressentiment. Dans “La fin d’un jeu”, trois jeunes filles regardent chaque jour passer le train au bout du jardin familial et elles jouent à se déguiser. Un beau jeune homme les remarque. Celle qu’il préfère est gravement malade.

Beaucoup de ces textes m’ont paru ennuyeux à lire, desservis par le flou du récit plutôt que portés par le charme de l’étrange, et il faut réellement se forcer pour arriver au bout. Tel est le cas des quatre-vingt pages de “L’homme à l’affut” (édité à part en folio 2 €) où l’intérêt tarde à venir ; le lecteur n’est pas immédiatement conquis par une histoire de saxophone perdu dans le métro par un jazzman alcoolique. Mais à la longue, on sera intéressé par la vie chaotique du musicien et la plongée dans l’histoire du jazz. Ce texte sur le séjour parisien d’un saxophoniste de Kansas City permet de reconnaître l’histoire de Charlie Parker qui mourut peu après à 34 ans. Son histoire est racontée par Bruno, un critique de jazz qui a publié une biographie du jazzman ; ce dernier reproche à son biographe de ne pas accorder assez de place à sa personne, à sa vie déréglée, à ses hallucinations.

Au final, ce recueil ne me semble pas la meilleure porte d’entrée pour venir faire connaissance avec le talent de Cortázar si l’on choisit de voir en lui un héritier du surréalisme et un auteur fantastique. Dans cette optique, “Continuité des parcs”, nouvelle très courte, est à conseiller! Le personnage entre dans la réalité, « le poignard en main » et se dirige vers la tête du lecteur…

Ci-dessous les titres des 5 nouvelles des Armes secrètes:

– Lettres de maman
– Bons et loyaux services
– Les fils de la vierge
– L’homme à l’affût
– Les armes secrètes

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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