Ilium – Olympos – Dan Simmons

Critique par Le Bibliomane – La guerre de Troie n’aura pas lieu

Dan Simmons est un de ces auteurs de S.F. que j’ai connu sur le tard avec le cycle «Hypérion-Endimyon» puis peu de temps après avec «L’échiquier du Mal». J’avais été emballé par ces romans extrêmement bien construits, riches en rebondissements et servis par un imaginaire foisonnant propice à une immersion totale dans l’univers présenté par l’auteur.

Aussi, quand s’est trouvé à ma disposition le diptyque «Ilium-Olympos», c’est sans hésitation que je me suis lancé dans la lecture de ce qui se présentait à mes yeux comme un nouvel évènement dans la littérature S.F.

L’attribution du Prix Locus 2004 à «Ilium», premier opus de ce diptyque, ne pouvait que m’encourager à me lancer dans cette oeuvre imposante qui frise les 2000 pages.

J’ai donc commencé «Ilium» avec enthousiasme, me régalant d’avance à l’idée de me plonger pendant de longues heures dans un univers étrange et futuriste, allant de surprises en émerveillements au fil des pages, à la rencontre de personnages hors du commun plongés dans des aventures palpitantes.

J’ai en tout premier lieu fait la connaissance de Thomas Hockenberry, universitaire professeur de littérature antique et spécialiste de l’oeuvre d’Homère. Thomas Hockenberry est décédé d’un cancer au XXe siècle mais il a été ressuscité par les dieux de l’Olympe qui ont récupéré son ADN. Ils ont fait de lui un des nombreux scholiastes, des érudits de toutes époques, dont la mission consiste à se téléporter quantiquement à l’époque de la guerre de Troie afin d’observer et de rendre compte des évènements aux divinités qui, mis à part Zeus, ne savent rien de l’issue de ce conflit dans lequel ils interviennent de temps à autre, suivant leurs affinités envers l’un ou l’autre camp.

Puis je me suis retrouvé sur Terre, dans un très lointain futur, à une époque où les humains «à l’ancienne» ne sont plus que quelques milliers, leur population étant régulée avec soin par les posthumains qui veillent sur eux depuis les anneaux e et p situés en orbite.

Les humains «à l’ancienne» vivent dans l’ insouciance, se téléportant d’un point à l’autre de la planète afin de se réunir à l’occasion de fêtes grandioses. Ils ne savent plus lire ni écrire et ignorent totalement le fonctionnement des technologies qu’ils utilisent. Leur style de vie, léger et futile est assuré en sous-main par les voynix, des créatures caparaçonnées, sortes d’insectes géants, ainsi que par des serviteurs, machines robotiques qui répondent à tous leurs désirs. Une société qui n’est pas sans rappeler celle des «Elois» et des «Morlocks» de «La machine à remonter le temps» de H.G. Wells.

Puis enfin j’ai fait la connaissance de Mahnmut d’Europe et d’Orphu d’Io, deux moravecs, créatures biomécaniques originaires des satellites de Jupiter, envoyés en mission sur Mars par le Consortium des Cinq Lunes afin d’éclaircir une mystérieuse activité sur la surface de la planète rouge.

En effet, le Consortium a relevé une activité quantique démesurée et inexplicable sur Mars. Des sondes ont rapporté des images prouvant que la surface de la planète a été terraformée en un temps record et que des alignements de statues de pierre s’étendent sur des milliers de kilomètres. Ces têtes de pierre seraient érigées dans un but mystérieux par de petits humanoïdes de couleur verte.

Qui est à l’origine de ces bouleversements? Les post-humains dont on n’a plus de nouvelles depuis très longtemps?
Une expédition est montée dont feront partie Mahnmut et Orphu d’Io, créatures inséparables qui ne cessent de se chamailler sur les qualités respectives de leurs auteurs préférés: William Shakespeare pour Mahnmut, et Marcel Proust pour Orphu d’Io.

Mais les choses vont se gâter : l’expédition moravec va être attaquée dès son arrivée sur l’orbite martienne. Sur Terre, les humains «à l’ancienne» vont être confrontés à une terrible menace qui va les obliger à redécouvrir certains réflexes qui ont aidé leur espèce à survivre de par le passé. Quant au scholiaste Thomas Hockenberry, il va être appelé par la déesse Aphrodite à accomplir un acte inimaginable, acte qui sera la cause de conséquences incalculables sur le déroulement de la guerre de Troie et qui verra les héros ennemis Achille et Hector s’unir pour défier les dieux de l’Olympe.

C’est ainsi que va se jouer, sur trois tableaux, le récit de Dan Simmons, un récit plein de références culturelles et historiques où l’on verra apparaître les protagonistes de l’Iliade, troyens et achéens, mais aussi ceux de «La Tempête» de Shakespeare: Prospero, Caliban, Ariel et Sycorax. Nombreuses références donc, et formidable travail d’érudition de la part de l’auteur qui parsème ses dialogues de citations de Yeats, Browning, Sénèque, Hésiode, Proust, Blake, Shelley, Ovide, etc.
Mais là où le bât blesse, c’est au niveau du récit lui-même, le déroulement en est interminable, à la limite du remplissage afin d’accumuler au final un nombre impressionnant de pages. Les descriptions des technologies utilisées sont proprement indigestes, les dialogues des héros et des dieux de l’Antiquité, quand ils ne copient pas le style d’Homère tombent dans une familiarité tendance vulgaire qui peut faire sourire au début ( ça rappelle parfois la série «Kaamelott») mais qui finit par lasser.

Les nombreuses redondances, le côté péplum carton-pâte des dieux de l’Olympe, les digressions sans intérêt qui ralentissent une action qui a bien du mal à décoller (et qui à mon avis ne décolle jamais), les coups de théâtre téléphonés ou carrément invraisemblables ont fini par faire de cette lecture un pensum et si je me suis dépêché de l’achever, ce n’est pas par gourmandise mais par lassitude, bien qu’espérant quand même qu’avant la fin l’auteur réserverait un dénouement qui serait capable de faire passer ces centaines de pages lues sans passion. Il n’en fut rien. J’ai refermé ce livre avec un amer sentiment de déception, un arrière-goût d’à-peu-près et le sentiment d’avoir perdu mon temps.

Je n’en garderai finalement que le bon souvenir de Mahnmut et Orphu d’Io, qui sont les personnages les plus réussis et les plus attachants de ce roman.
Et puisqu’il est souvent question de Shakespeare, je conclurai en reprenant le titre de l’une de ses pièces : «Beaucoup de bruit pour rien»!

Critique par Fashion Victim – Un roman selon mon cœur

Dans un futur très lointain et indéterminé, trois mondes se côtoient sans même savoir que les autres existent: une Terre quasi déserte où les quelques milliers d’êtres humains qui la peuplent vivent dans le loisir et l’indolence et ont oublié ce que sont la lecture, l’histoire, la géographie ou encore l’art, servis par de mystérieux et silencieux voynix manifestement d’origine extra-terrestre; sur Jupiter et ses lunes vivent en bonne intelligence des moravecs, intelligences artificielles pacifiques qui ont intégré la culture des humains de l’Ere Perdue et occupent leur temps libre à comparer les mérites respectifs de Proust et de Shakespeare et sur Mars, terraformée dans le dos de tout le monde, les dieux grecs rejouent l’Iliade à côté du volcan Olympus Mons. Ces mondes vont se retrouver confrontés les uns aux autres…

Dan Simmons est l’un des auteurs de SF que je préfère, chers happy few, depuis ma découverte il y a de cela plus de quinze ans du cycle d' »Hypérion », fresque éblouissante et profondément originale. Je le suis depuis avec plus ou moins de bonheur (j’ai adoré « Le styx coule à l’envers », beaucoup aimé ses polars mettant en scène Joe Kurtz, « Vengeance » et « Revanche », j’ai été moins convaincue par « L’épée de Darwin » et je ne garde presque aucun souvenir des « Feux de l’Eden »), parce que pour moi Simmons excelle surtout dans la science-fiction, et « Ilium » est venu le confirmer.

Comme pour « Hypérion », « Ilium » présente une intrigue dense et touffue, à la limite de la complexité, qui, comme dans « Hypérion », est tenue de bout en bout et passionnante. Les points de vue alternent avec fluidité et permettent à l’histoire d’avancer avec rigueur. Nous suivons donc en parallèle un groupe d’humains déconcertés et mous qui partent, pour certains un peu malgré eux, à la recherche des posthumains, qui après avoir fait n’importe quoi de la Terre en jouant avec l’ADN (tiens, si on remettait des dinosaures en Amérique du Sud?) et avec la physique quantique (tiens, si on se servait des trous noirs et des trous-de-vers pour voyager de manière instantanée? comment ça le tunnel débouche quelque part? comment ça on fait rentrer des choses non indentifiées sur Terre? oups) se sont soi-disant réfugiés dans les anneaux orbitaux (en fait non, ils ont carrément fichu le camp bien plus loin, pas fous); Manhmut et Orphu d’Io, respectivement un petit robot et un crabe métallique de la taille d’une camionnette Ford, moravecs des lunes jupitériennes, partis en mission secrète sur Mars, amateurs d’analyse littéraire et enfin les héros de la guerre de Troie (Hector, Achille et compagnie) qui se battent sous les yeux de scholiastes ressuscités qui sont là pour vérifier que l’Iliade homérique se déroule à peu près correctement mais sans intervenir, comme Thomas Hockenberry, ancien prof de fac du XXIème siècle, jouet de sa Muse colérique.

Comme je suis consciente d’avoir déjà perdu les neuf dixièmes de mon lectorat, chers happy few (parfois la lucidité m’habite), je me contenterai de dire qu’Ilium est un très bon roman, parfaitement construit, qui se paye le luxe, en plus d’assembler avec brio les morceaux de son histoire à la manière d’un puzzle de plus de 2000 pièces, d’être une réflexion sur l’humanité. Que devient-elle quand elle perd toute Histoire sinon un assemblage de pantins sans âme qui ne savent même plus ce que révolte veut dire? Au contraire de ces humains nouvelle génération, les héros troyens et achéens tentent de réagir à la manipulation de ces dieux qui ressemblent fichtrement à des extra-terrestres versés dans la nanotechnologie grâce à l’inattendue révolte de Thomas Hockenberry, qui, perdu pour perdu, redonne à l’humanité tout son sens, se servant de ses connaissances et de son intelligence pour tenter de damer le pion à Zeus et consorts, le tout avec un humour à froid qui ne peut que remporter l’adhésion du lecteur.

Un roman dans lequel les personnages de fiction nés de cerveaux géniaux s’incarnent, où Prospero affronte réellement Caliban qui parle comme dans le poème de Browning, où Hector et Achille font enfin front commun contre un ennemi démesuré est un roman selon mon cœur, chers happy few. Seule ombre au tableau: l’intrigue est lancée mais rien n’est résolu. Il me faut donc urgemment acheter la suite, « Olympos ». Je n’aurai qu’un mot de conclusion, chers happy few: Dan Simmons rules.

Ce roman a reçu le Prix Locus 2004.

Critique par Karine – La suite, et que ça saute!!

Présentation de l’éditeur

   « Imaginez que les dieux de l’Olympe vivent.
Ils se déplacent librement dans le temps et l’espace grâce à leurs pouvoirs quantiques. Leur plus grand plaisir, c’est la guerre de Troie qui se joue sous leurs yeux. Pour y mettre un peu plus de piment, ils envoient des érudits terriens modifier les évènements à leur gré, en gardant toutefois le récit d’Homère comme référence. Mais en orbite, de petits observateurs surveillent les jeux divins.
Batailles grandioses, intrigues politiques et amoureuses, dialogues savoureux, une fresque passionnante qui mêle space opera et mythologie avec grand brio! »

Commentaire

Je commencerai donc mon billet par un grand cri d’amour… Fashion, je t’aime! En effet, j’avais un peu peur de lire les romans SF de Dan Simmons et je ne sais pas si j’aurais osé y plonger si la demoiselle en question ne m’avait pas envoyé ce roman. Non mais pensez-y, sans elle, je serais passée à côté d’un réel coup de cœur littéraire, d’un voyage extraordinaire… Bref, je suis conquise, passionnée. Quel tourbillon littéraire! Quelle richesse dans les idées!

Ce n’est plus un secret pour personne, j’adore tout ce qui est réécriture et je bats des mains à la moindre petite référence. J’aime aussi quand l’auteur a des idées complètement tordues (en anglais, je dirais « twisted »… ça n’a pas tout à fait la même connotation, je trouve). Dans ce cas-ci, j’ai été servie. Dan Simmons a réussi à rendre vivants et réels les héros de l’Iliade dans un contexte résolument SF, et s’il garde la trame, il se permet quelques petites pointes totalement politically incorrect qui m’ont fait mourir de rire. Mais bon, tentons d’expliquer un peu ce qu’est-ce roman, qui ne se limite pas du tout, mais alors pas du tout à une réécriture de l’Iliade.

Il y a énormément de fils, énormément d’histoires qui finissent par se rejoindre… mais pas tout de suite, ce qui demande donc toute l’attention du lecteur, surtout au début. D’un côté, nous avons les dieux de l’Olympe, dans toute leur grandeur et leur « humanité », qui s’amusent à employer des scholiastes (des humains décédés à qui on rend la vie pour une certaine période) et à les envoyer dans le temps, à l’époque de la guerre de Troie, pour observer – et/ou intervenir – dans les événements décrits par Homère. Spécialistes d’Homère, ils savent d’avance tout ce qui va arriver, mais pas les dieux. Hockenberry est l’un de ces scholiastes, à qui Aphrodite a donné une mission particulière. Ailleurs, dans une autre époque, des « humains à l’ancienne », des êtres oisifs qui vivent sur une terre remplie de portails fax, de serviteurs et de protecteurs. Ils ne font somme toute pas grand chose, ne tombent pas malade, ne vieillissent que très peu. Un humain dans sa quatre-vingt dix-neuvième année (c’est connu, à cinq-vingt, on va rejoindre les posthumains dans les anneaux et on vit heureux pour toujours) commence à se poser des questions et décide de partir à la recherche des réponses. Et il y a aussi les Moravecs (ceux qui m’ont le plus touchée, paradoxalement), êtres conscients mais de création posthumaine, qui sont en mission et qui passent le temps en discutant des sonnets de Shakespeare ou de la Recherche de Proust. Et là, je sens que je ne suis pas claire… c’est que j’ai perdu l’habitude d’écrire des billets!

L’histoire est complexe mais une fois que les personnages sont en place, le tout m’a passionnée. Bon, j’ai lu ce livre en Grèce, entourée par des vestiges de ces histoires et de ces légendes, ce qui a sans doute contribué à mon exaltation, n’est-ce pas. C’était comme si j’y étais. Il faut dire que dans tous les sites où j’allais, on me parlait de Zeus, d’Apollon, d’Athéna ou des héros de Troie. J’ai donc aimé voyager dans cet univers dont nous ne possédons pas toutes les clés, même à la fin du roman (je compte d’ailleurs lire la suite, vu l’état où j’étais quand j’ai lu les dernières lignes) et j’ai parfois vraiment ri à lire la « réalité » telle qu’imaginée par Simmons derrière les discours et récits d’Homère ou encore sa version de Prospero et de Caliban. Bien entendu, j’ai dû manquer des références… mais j’ai pleinement apprécié (et cité, au grand désespoir de ma compagne de voyage qui ne comprenait rien à mon charabia) celles que j’ai pu voir.

Toutefois, le roman ne se limite pas à une histoire où l’auteur s’amuse à faire du name-dropping de personnages réels ou fictifs. Il y a de réels questionnements qui y sont soulevés, autant sur le plan de la manipulation génétique, des avancées scientifiques trop rapides qui ont parfois des résultats disons… légèrement désagréables, que sur celui de l’acceptation sans révolte et de l’indolence à l’extrême, où l’histoire et l’écriture sont oubliées. Entre l’Iliade et les « humains à l’ancienne », le contraste est frappant. Quant à Thomas Hockenberry, le scholiaste, son cynisme et sa façon de tenter le tout pour le tout alors qu’il n’a plus rien à perdre…

Bref, c’était palpitant, passionnant… et il me faut la suite, qui est un aussi gros pavé (celui-ci faisait dans les 900 quelques pages). Et vite, à part ça!

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
Partagez sur les réseaux
A ne pas manquer

Solal – Albert Cohen

Critique par Tistou - A éclipses Quelques romans vous font cette impression : vous les attaquez, maussade, pas trop séduit, vous les continuez un tantinet...

L’été de cristal – Trilogie berlinoise – 1 – Philip Kerr

Critique par Sibylline - Les violettes de Mars Trilogie berlinoise Philip Kerr a rédigé trois excellents romans policiers tout à fait originaux en cela que leur...

La Réserve – Russell Banks

Critique par Fée Carabine - L'été des désillusions L'entrée en scène fracassante de Jordan Groves est venue semer le trouble dans la traditionnelle célébration qui...

Les derniers articles

Pour continuer la lecture