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Critique par Mouton Noir – Les USA en long, en large, en travers, et même au delà
Sal (Salvador) Paradise, le narrateur, écrivain de son état, vient de divorcer et rencontre Dean Moriarty. Ensemble, ils vont voyager à travers les USA, d’abord vers l’ouest, la Californie, puis vers l’Est et le Sud. Chaque voyage est une expérience nouvelle pour les deux protagonistes au gré des rencontres, de l’argent accumulé et vite dépensé en déplacements et fêtes diverses, argent gagné dans divers petits boulots qui forment en eux-mêmes une autre expérience en plus des diverses galères qu’il rencontre. Le voyage est d’abord perçu comme transformation nécessaire de même que le voyage vers l’ouest est traditionnellement associé à la mort.
« I wasn’t scared; I was just somebody else, some stranger, and my whole life was a haunted life, the life of a ghost. I was half-way across America, at the dividing line between the East of my youth and the West of my future. »(15-16)
(Je n’avais pas peur; j’étais juste quelqu’un d’autre, un étranger, et toute ma vie était une vie hantée, la vie d’un fantôme. J’étais à mi-chemin des USA, à la limite entre l’est de ma jeunesse et l ‘ouest de mon avenir.)
On peut remarquer que le livre est conçu globalement comme une suite d’histoires personnelles de chaque personnage rencontré. Rien n’est laissé en surface, chacun a une épaisseur. Parallèlement, le récit offre toute une série de méditations, monologues intérieurs de Sal (au nom on ne peut plus évocateur) plus ou moins mystiques sur le sens de la vie, la mort, l’amour ou l’amitié. En ce sens, on ne peut s’empêcher de voir une homosexualité latente entre Sal et Dean. Le voyage proprement dit se double de ces nécessaires voyages intérieurs dans l’histoire de chaque personnage et dans l’esprit contemplatif du narrateur. Kerouac parvient très bien à montrer que l’un ne peut se passer de l’autre et la vie sans Dean –ou sans Sal- est une vie entre parenthèses, une vie sans mouvement. En effet, le mouvement du livre est calqué sur les errances des deux «héros» de la route.
De même Sal transforme chaque expérience vécue en un moment privilégié à la fois esthétique et mystique.
» They picked cotton with the same God-blessed patience their grandfathers had practiced in ante-bellum Alabama, their moved right along their rows, bent and blue and their bags increased. My back began to ache. But it was beautiful kneeling and hiding in that earth. If I felt like resting I did, with my face on the pillow of brown moist earth. Birds sang in accompaniment. I thought I had found my life’s work. » (87)
(Ils cueillaient le coton avec la même patience divine qu’avaient leurs grands-pères dans l’Alabama d’avant-guerre, ils se déplaçaient dans leur rangée, tristes et courbés et leurs sacs s’emplissaient. Je commençais à avoir mal au dos. Mais c’était beau d’être à genoux et enfoui dans cette terre. Si j’avais envie de me reposer, je le faisais, le visage sur l’oreiller brun et humide de la terre. Les oiseaux m’accompagnaient de leur chant. Je croyais que j’avais trouvé le métier idéal.)
Mais les personnages sont conçus de telle sorte qu’ils ne parviennent jamais à se fixer, à avoir une vie de famille «normale», entre Dean, sortant de prison et recherchant toujours son père – c’est en partie la raison de cette fuite en avant à travers tous les USA – et Sal qui n’est pas fait pour la vie de mariage :
» I had nothing to offer anybody except my own confusion. » (113)
(Je n’avais rien à offrir à quiconque que ma propre confusion.)
Ce sont ces fameux «clochards célestes» , riches de leurs «expériences» mais toujours à la limite de la dèche financière.
Il faut ajouter que le récit se déroule dans l’Amérique des années 50 et l’on rencontre des musiciens de jazz ( Dexter Gordon, George Shearing, Billie Holliday…), les jeunes commencent à expérimenter la drogue: herbe et mescaline et l’amour se fait de plus en plus librement: Marylou passe ainsi de Dean à Sal sans trop de problème et ils forment même parfois un ménage à trois. C’est à partir de ces préoccupations de la jeunesse de son temps que Kerouac a en partie bâti son histoire, récit ténu qui rend chaque nouveau voyage intéressant, récit transformé de sa propre histoire avec Nick Cassidy où se sont retrouvés nombre d’artistes de la génération hippie parmi lesquels Bob Dylan qui dit en quatrième de couverture que «[ce livre] a changé [sa]vie comme il a changé celle de tout le monde. » Kerouac fait partie de cette génération d’écrivains (avec William Burroughs ou Allen Ginsberg) qu’on a appelé la «beat generation» .Génération du rythme, de l’exploration de nouveaux horizons tant géographiques qu’intérieurs -d’où l’usage des drogues- mais aussi de l’autre, de la société américaine où les gens «assis», comme disait Rimbaud, ne les comprennent pas mais acceptent malgré tout leur soif de mouvement perpétuel.
En tout cas c’est avec grand plaisir que j’ai relu ce roman.
Critique par Karine – En y repensant…
Résumé
«Un gars de l’Ouest, de la race solaire, tel était Dean. Ma tante avait beau me mettre en garde contre les histoires que j’aurais avec lui, j’allais entendre l’appel d’une vie neuve, voir un horizon neuf, me fier à tout ça en pleine jeunesse; et si je devais avoir quelques ennuis, si même Dean devait ne plus vouloir de moi pour copain et me laisser tomber, comme il le ferait plus tard, crevant de faim sur un trottoir ou sur un lit d’hôpital, qu’est-ce que cela pouvait me foutre?… Quelque part sur le chemin, je savais qu’il y aurait des filles, des visions, tout, quoi; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare.»
Commentaire
Ce livre m’a laissé de drôles d’impressions… On me l’avait présenté comme génial et j’ai eu pourtant beaucoup de difficulté à accrocher au départ. Au final, je peux dire que j’ai bien aimé mais l’impression laissée ne m’a pas semblée impérissable. Toutefois, après la lecture de ce livre j’ai été comme obsédée par l’idée de prendre congé pour quelques mois et de partir pour un « nowhere », sans contraintes, sans trop savoir où je vais, sans plan précis, me laissant porter au gré du moment… Coïncidence?? Peut-être!
Le roman se passe dans les États-Unis des années 50 et on ressent partout dans le roman une contestation des valeurs, des façons de vivre et des limites imposées par l’époque. J’y ai vu un roman sur la liberté, oui, mais également une critique sociale, une révolte profonde contre ce qui était alors le « bien ». Les personnages rencontrés sont colorés, souvent rejetés de la société. L’autre côté de la médaille.
Mon problème avec ce livre: à part le personnage décalé de Dean Moriarty, les autres personnes rencontrées ne m’ont pas vraiment touchée. J’ai aimé l’aspect de l’amitié entre Sal et Dean, qui occupe une grand part du roman, mais j’ai eu de la difficulté à y croire réellement. Ca a été long avant que j’y adhère. Par contre, j’ai apprécié la fin, et après avoir terminé le livre, je l’ai davantage apprécié… bizarre!
Donc, à mon avis (qui est contraire à celui de la plupart de mes copains qui ont adoré): bien mais pas inoubliable. J’ai même failli abandonner au tiers du livre. J’ai accroché plus tard!
Critique par Eireann Yvon – Au bout du chemin…
Je pense qu’il n’est pas réellement nécessaire de présenter ce livre. Objet culte pour certains, œuvre plutôt mineure pour d’autres. La récente sortie d’un film, après cinquante ans d’atermoiements, et sa présentation à Cannes remettent ce récit en pleine lumière.
Je l’ai relu plusieurs fois, l’ayant sous diverses éditions, toutes très anciennes comprises entre 1960 et 1972. En format livre de poche, il a été de tous mes voyages et déménagements.
J’ai envie de relire cette version, avant de m’attaquer à la nouvelle. Je ne vais pas ici reprendre la litanie des voyages, des kilomètres de routes, des nuits à la belle étoile, je parlerai de cela plus tard pour la lecture du rouleau original.
Il est primordial de se souvenir que ce livre commence durant l’hiver 1947. La première édition américaine date de 1957 (la première française de 1960). L’Amérique d’après-guerre n’est déjà plus, peut-on déjà parler de nostalgie ou de refus de la norme de l’American Way Of Life? Certainement un peu des deux. Une grande partie de la jeunesse va contribuer au succès de ce récit.
La découverte d’un Eldorado perdu, traverser les U.S.A par tous les moyens, stop, voitures volées, bus aussi et souvent, et enfin voir la baie de San-Francisco la Mystique! Tels sont les buts de Dean et de Sal, l’un est le leader naturel, le second le narrateur…
La vie en marge des sentiers battus de la société américaine, celle des routards (volontaires ou par obligation), des travailleurs saisonniers, ombres magnifiques ou déchues de la nuit américaine.
Les personnages principaux sont bien sûr Dean Moriarty (Nel Cassady) et Sal Paradise (Kerouac lui-même) dans une saga motorisée et vagabonde, de ville en ville de la côte Est à la côte Ouest des États-Unis et vice et versa.
On croise entre autres des figures de l’époque, en particulier Old Bull Lee (William Burroughs) qui d’ailleurs n’éprouve aucune sympathie pour Dean. Marylou, jeune épouse de Dean, qui demande à Sal de coucher avec elle… ce qu’ils feront plus tard, Camille autre épouse de Dean… etc.
Ma vision du monde ayant bien évidement changé mon ressenti pour ce livre également. Connaissant mieux la vie et l’œuvre de Kerouac, mon œil est plus critique et le vent de liberté qui semblait émaner de ce livre s’est bien atténué.
L’époque de mes différentes lectures n’est plus la même, à 20 ans on rêve d’améliorer le monde, maintenant il me fait peur!
C’est toujours un très grand livre, peut-être plus pour ce qu’il représente que pour ses qualités intrinsèques. Ses qualités sont qu’il na pas vraiment vieilli et n’est pas démodé, ni ringard, ce qui explique qu’il soit encore lu. Nombreux sont les écrivains bretons qui rendent régulièrement hommage à Jack, Patricia Dagier et Hervé Quémeneur pour leur ouvrage « Kerouac, Breton d’Amérique », Hervé Bellec, Alain Jégou ou aussi Jacques Josse sont des fans de longue date.
A noter qu’il est question de sexe souvent, d’alcool pas mal, mais nettement moins de drogues dures! Est-ce venu après ou la censure a t-elle fait son travail?
Je vais terminer cette chronique par une phrase, au tout début de ce livre, d’apparence anodine, mais, me semble t-il, prémonitoire de ce que sera la vie de Jack :
-… et je trainais derrière eux comme je l’ai fait toute ma vie derrière les gens qui m’intéressent, parce que les seuls gens qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d’être sauvé…
A sauver les autres ne s’est-il pas perdu lui-même!
Extraits :
– Quelque part sur le chemin je savais qu’il y aurait des filles, des visions, tout quoi, quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare.
– Je regardais le camion s’enfoncer dans la nuit.
– L’air était doux, les étoiles si belles, si grandes les promesses de chaque ruelle caillouteuse que je croyais rêver.
– Il y a, dans l’Est, quelque chose de brun et de sacré ; mais la Californie est blanche comme la lessive sur la corde, et frivole – c’est du moins ce que je pensais alors.
– Elle comprenait Dean ; elle passait la main dans les cheveux ; elle savait qu’il était fou.
– C’était les premiers temps de son mysticisme, qui devait l’amener plus tard jusqu’à une étrange sainteté déguenillée, à la W.C. Fields.
– Où aller? Que faire? Dans quel but? … Dormir. Mais cette équipe de déments était bandée vers l’avenir.
– Ajoutez le brouillard, le brouillard âpre qui affame, et les pulsations du néant dans la nuit douce, les talons hauts des femmes sur le trottoir, les colombes blanches dans la vitrine d’une épicerie chinoise…
– Voilà ce que Dean était, le GLANDEUR MYSTIQUE.