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Critique par P.Didion – La pelisse et ses vers
Ce livre retrace fidèlement le parcours tortueux qui a conduit à la découverte du « vieux manteau déchiré » de Marcel Proust, celui-là même que l’écrivain a porté de longues années au point de devenir inséparable de sa légende, et que ses contemporains, comme Cocteau et Morand, décrivent dans les belles pages qu’ils lui ont dédiées.
On savait que le moindre mot de Proust pouvait nous valoir des commentaires et des études à la louche. Voilà que ses nippes viennent maintenant enrichir la marée éditoriale avec cette fameuse pelisse à col de loutre ( » il avait l’air d’être venu avec son cercueil », disait la princesse Bibesco à son sujet) dont Lorenza Foschini raconte ici l’histoire. Au centre de celle-ci, Jacques Guérin, célèbre parfumeur et collectionneur de manuscrits.
Dans « Proust vous écrira », Marie-Odile Beauvais avait déjà raconté comment Guérin était entré en possession d’un lot de vestiges proustiens. La version développée de Lorenza Foschini est un peu différente mais l’essentiel est là: lorsqu’il se présente en 1935 chez Robert Proust, le frère qui vient de mourir, la veuve de celui-ci s’apprête à se débarrasser de tous les souvenirs de Marcel qui l’encombrent, meubles, bibelots, tableaux, papiers, livres dédicacés et autres. En cheville avec un brocanteur, Werner, Guérin récupère tout ce qui est récupérable mais ce n’est que plus tard que Werner lui avoue qu’il a autre chose qui peut l’intéresser: la pelisse, le manteau de Proust donné lui aussi par la belle-sœur, dont il se sert pour emmitoufler ses jambes lorsqu’il va pêcher sur la Marne. Guérin vendra plus tard « les treize cahiers qui manquaient à œuvre complète, la dernière partie de la Recherche qui a été écrite une dizaine de fois, quelques lettres à ses proches, et surtout les premiers brouillons de Du côté de chez Swann publiés chez Grasset, corrigés de la main de Proust » et donnera les meubles et objets au musée Carnavalet où la chambre de Proust est reconstituée. On n’y voit pas la pelisse: celle-ci, trop abîmée, repose dans une boîte en carton, dans les réserves du musée. J’ai visité le musée Carnavalet en 2002. Je suis sûr d’y avoir vu la pelisse de Proust. Sans y prêter grande attention d’ailleurs: ce qui m’avait fasciné, c’était le lit, le lit sur lequel il avait écrit la Recherche. J’en avais tant lu sur ce lit, sur l’encombrement de papiers, de journaux, les appareils à fumigation, les bouillottes qui le couvraient que j’avais imaginé un lit princier, un plumard de lupanar. Et qu’est ce que je voyais: un tout petit lit, un lit riquiqui, un lit de pensionnat avec les bordures métalliques, un lit des Disparus de Saint-Agil. C’était son lit d’enfant ou presque, celui de ses seize ans… Alors la pelisse? L’avais-je rêvée, était-ce une pelisse factice, une pelisse de remplacement (comme la courtepointe bleue du lit qui n’est pas authentique) ou la vraie, depuis mise au rencard?
Le numéro 44 des notules relate ma visite au musée Carnavalet:
« C’est le musée de l’Histoire de Paris, contenu dans un grand hôtel particulier. Il faut suivre une enfilade de pièces meublées selon telle ou telle époque (c’est aussi passionnant que la visite d’un château anglais) pour dénicher, tout au bout du dernier couloir qui se termine en cul-de-sac, ce que suis venu chercher: la reconstitution, avec les objets authentiques, des chambres de Proust et de Léautaud: le lit métallique, la canne, l’encrier, la pelisse en loutre de l’un, le panier à chat, le pot de chambre, le fauteuil défoncé de l’autre… C’est incroyablement déprimant. »
Peut-être, mais la pelisse était bien là. J’ai vu la pelisse de Proust, je suis peut-être l’un des derniers à l’avoir vue. Je me sens grandi tout à coup.
Critique par Sibylline – De l’usage des reliques
« On pourra se demander l’intérêt qu’il y a à défiler ainsi devant ces vestiges, ni beaux ni laids, qui gisent immobiles sous le regard du visiteur, et pourquoi un homme cultivé et raffiné s’est consacré avec ardeur et passion à les sauver de l’incurie et de la destruction. »
En effet, on peut se le demander, alors, posez-vous la question :
Si vous êtes devant un musée où sont exposés les objets de la vie quotidienne de votre grand homme/femme préféré, entrez-vous les regarder?
Si vous vous trouvez en possession d’un objet inutile ayant appartenu à un être cher ou admiré, le jetez-vous?
Quant à savoir ce qui nous y pousse… peut-être la peur de perdre le peu qui reste…
Même si l’on soupçonne que ce « peu » n’est rien.
« L’importance de l’infime »…
Jacques Guérin est un collectionneur. Sa profession de parfumeur parisien à succès lui offrit les moyens de donner libre cours à son goût des arts et des collections. D’abord dans les tableaux, puis de plus en plus dans les livres, les autographes et, de fil en aiguille, tout objet ayant été proche de Proust (ici, mais également de Rimbaud par ailleurs), il se mit à rechercher et accumuler. Comme tous les collectionneurs, son activité tenait de la passion irrationnelle et de l’espoir d’un bon placement, peut-être inconsciemment seulement pour justifier sa compulsion. Personnellement, je n’ai aucun mépris pour les collectionneurs, il me semble qu’ils poursuivent activement un rêve abstrait. C’est vorace et poétique. Sans Jacques Guérin en tout cas et sa manie, nous n’aurions plus aucun de ces objets proustiens et en particulier, plus le fameux manteau de loutre qui est plus qu’un objet de culte : un objet sacré.
Récit érudit mais non dénué d’humour, cet opuscule se dévore allègrement et les illustrations sont bienvenues (quelques croquis prouvent que Marcel était loin d’être doué pour le dessin !… )
Bémol : Je n’ai cependant guère suivi l’auteur dans ses interprétations détaillées des attitudes des deux frères Proust sur les photos d’enfance car je pense pour ma part que loin de révéler les relations des deux garçons, elles avaient été purement et simplement dictées par le photographe ou l’adulte accompagnateur.
Un ouvrage plaisant.
Critique par Dominique – De fil en aiguille : le collectionneur
C’est l’histoire d’un passionné, d’un collectionneur, d’un obsédé, d’un amoureux.
C’est à la fois un livre d’admiration envers Proust mais aussi pour l’ admirateur obsessionnel que fut Jacques Guérin.
Lorenza Foschini est journaliste et c’est en journaliste qu’elle va partir sur les traces de Jacques Guérin et de sa collection ahurissante d’objets et documents ayant appartenu à Marcel Proust.
Le récit se focalise en partie sur le fameux manteau de l’écrivain, celui qu’il portait en permanence hiver comme été, qu’il jetait sur son lit quand il écrivait, dont tous ses amis se souviennent. Mais ce manteau mité et plus que défraichit n’est que le clou du spectacle offert par Jacques Guérin à la postérité.
Imaginez un collectionneur opéré d’une banale appendicite mais opéré par Robert Proust! Quelle joie pour ce collectionneur, lors d’une visite chez le médecin d’apercevoir les manuscrits de Marcel Proust et d’être effaré par le peu d’intérêt que semble avoir le frère de l’écrivain pour l’œuvre du grand Marcel.
La suite? une traque, une quête. Vous allez chiner avec Jacques Guérin, négocier des prix, chercher et… trouver des reliques qui permettront de reconstituer la chambre de Proust, que vous pouvez aujourd’hui voir au Musée Carnavalet.
Vous pénétrez à sa suite auprès de Marthe Proust, la belle sœur qui ne souhaite qu’une chose c’est protéger l’honneur de la famille et pour cela n’hésite pas à brûler lettres et papiers qui pourraient rappeler les penchants de Marcel, ceux que la famille a toujours refusé de voir.
L’enquête de la journaliste se lit comme un roman. On est ému par la ferveur de Jacques Guérin, et époustouflé par ses efforts et sa passion, il fut non seulement un grand parfumeur mais de plus il parvint à rassembler une fabuleuse collection de manuscrits et objets qui fut disséminée à la fin de sa vie.
Pour info le manteau est toujours au Musée Carnavalet. Lorenza Foschini l’a vu, touché, sous le regard sourcilleux et méfiant du conservateur.