Solal – Albert Cohen

Critique par Tistou – A éclipses

Quelques romans vous font cette impression : vous les attaquez, maussade, pas trop séduit, vous les continuez un tantinet excédé (irai-je au bout ? Qu’est-ce que je m’em…bête !), vous tenez bon parce que arrêter-c’est pas trop votre truc, et puis … l’horizon s’élève progressivement, un dessein se fait jour (ou alors vous le sentez enfin !), et vaincu, à la fin vous refermez le livre, contraint de reconnaître du génie dans cette œuvre-là. Je dis bien contraint tant ce fût confus, pénible au départ.
Solal est de ceux-ci. Il est donc de la race de certains Faulkner (Le bruit et la fureur, …), Céline (Rigodon, …) sur le plan du génie et de la pénibilité à se mettre en train.
Vous avez déjà entendu parler des juifs, d’Israël ? Sûrement. C’est confus, ça n’a le plus souvent aucun sens logique, concret (je veux parler de tout ce qui s’y rapporte) et le monde tourne comme si la notion de peuple élu était chose bien établie et la justification de chasser de leurs terres un peuple palestinien chose la plus naturelle du monde en dépit de condamnations récurrentes de l’ONU depuis tellement longtemps. Ca défie le bon sens, c’est improbable comme peu de choses le sont, et … tout le monde sent bien qu’il y a un « quelque chose », un quelque chose qui fait que l’improbable peut être la règle là (et ce quelque chose n’est pas que l’appui inconditionnel des américains).
Et bien, Solal, c’est un peu cela aussi. Une histoire et un héros des plus improbables, des successions d’évènements à faire pâlir Alexandre Dumas et un parallèle des plus mystérieux avec les cas précités pour cette sensation de n’accéder qu’à la surface des choses, la partie visible et de n’avoir que l’intuition du vrai rouage des choses qui reste indéfectiblement hors de portée, Deus ex Machina inconcevable. Et pouvoir livrer une œuvre qui laisse cette impression, ça n’est quand même pas rien ! Dans le modus operandi ça fait penser au héros de « La jument verte », peintre qui parvenait à donner l’impression de vie à ses tableaux en mélangeant du « liquide de vie » (du sperme, soyons trivial !) à ses peintures. (Marcel Aymé explique cela beaucoup mieux !) Par contre je ne sais pas quel procédé mystérieux utilise Albert Cohen pour parvenir à ce résultat. Je ne pense pas qu’il s’agisse de la simple incorporation de « liquide de vie » à l’encre par exemple !
Raconter Solal me paraît des plus hasardeux. Disons qu’on est au cœur d’une famille, d’une tribu plutôt, juive, en Grèce, mais française de cœur et de nationalité et que l’irrationalité va régner en alternance au bon sens, au possible, et que le gosse pénible, Solal, après avoir connu la gloire terrestre (et française) finira en prophète ( ?) errant et illuminé.
Le style n’est pas forcément des plus prenants, loin de la sobriété d’un Camus par exemple. On frise parfois l’exubérance et les outrances d’un Gabriel Garcia Marquez. Il est probablement adapté au propos, et à l’esprit. Une chose est sûre ; Camus n’aurait pas écrit Solal !
« Il soupira, fatigué de ses mensonges.
– Je ne sais plus. Je ne sais plus où était ce Spitzberg et en fin de compte cela m’est indifférent car Dieu est partout. Est-ce qu’il y a des rues dans la mer ? Eau ici, eau là. Ils ont mis sur le Maroc quelques ours ou quelque Esquimau, fils de Cham tous deux. Et qui souffrait de ne pas être en Argentine ? Cent cinquante victimes juives de l’oppression et de l’intolérance religieuse ! Mais le jour du Seigneur luira et nos ennemis seront balayés!

Dans les boutiques vibrantes de mouches et de musc où les barbiers sollicitaient à coups monotones leurs mandolines ou leurs épidermes, les nouvellistes et les politiciens bourdonnaient. Des morues se balançaient au-dessus des épiceries et des tonneaux éventrés s’échappaient les coulées plâtreuses du fromage. Sous les arcades, les colonels de gendarmerie buvaient du café et mangeaient des pâtes roses qui ciraient leurs joues d’une gourmandise distinguée et imposante, puis ils essuyaient leurs mains au mouchoir de soie, respiraient largement, souriaient. Des agneaux écorchés pendaient contre des murs crépis. Des sucreries bleues et des billets de loterie circulaient. Des marchands de nougat rouge, de chapelets et d’œufs durs s’égosillaient. Deux prêtres discutaient ; le plus jeune d’une voix aiguë, tandis que le vieillard, retroussant ses manches de deux doigts délicats, approuvait par politesse tout en attendant son heure de victoire dialectique. Un mendiant immobile répétait dans une rue solitaire sa complainte et implorait la pitié des miséricordieux qui ne lui lançaient pas un regard.»

La Trilogie :

Solal
Mangeclous
Belle du seigneur

Critique par Benjamin Aaro – Saga

Ce premier roman d’Albert Cohen, publié en 1930, ne laissait aucun doute quant au talent phénoménal de son auteur et son habileté à rendre merveilleux les décors de sa propre vie et les figures de son entourage.

Le personnage titre, Solal – que l’on retrouve aussi dans les pages de « Belle du seigneur » – est un héros plus grand que nature s’inscrivant dans la tradition des romans de Dumas. C’est un jeune seigneur juif, un enfant chéri des habitants d’une île grecque. Sa future épouse ne tarira pas d’éloges pour le décrire : « Il était beau, naïf, pénétrant, chaud, hardi, insolent, si courtois, bon, immense, diabolique et vivant. »

Au début de l’aventure, Solal est adolescent. Au sein d’un groupe de joyeux lurons dont les frasques font les délices du lecteur, il en arrive à découvrir l’amour dans les bras de Mme de Valdonne, la femme du consul de France. Celle qui n’avait au départ pour lui qu’une affection filiale, le dépucèle et s’enfuit avec le jeune homme en Europe.

Il s’ensuit des années d’évasion et d’apprentissage avant que la France tombe sous le charme de Solal et le laisse frayer dans les méandres de sa bourgeoisie politisée. Il y trouve une épouse, un certain goût pour le pouvoir, mais aussi il cultive la nostalgie des amis du passé durant cette ascension dans les hautes sphères de la diplomatie.

Une grande épopée romanesque, Solal est le genre de roman que l’on n’écrit plus. Cohen se détournait de l’actualité et du modernisme dans son œuvre. L’usage du vieux français est donc omniprésent et pourra en rebuter certains. Il ne s’agit pas d’un récit particulièrement serré. Toutefois, les faiblesses dans l’intrigue sont largement compensées par une prose pleine de sève, au rythme effréné. C’est une saga que l’on lit avec l’abandon du troubadour en s’imaginant un soleil de Méditerranée nous réchauffant le cou.

Critique par Sibylline – Juif?

Une histoire abracadabrante, pleine d’humour et de poésie. Une épopée épique et fantasmagorique, qui surprend, charme, puis peut-être lasse.

Les personnages principaux (Solal et Aude) sont perpétuellement hantés par l’idée de la mort à laquelle ils se réfèrent à chaque période de doute. L’idée est : Vivons, vivons à fond, même au prix de bêtises, puisque ce qui nous attend est la destruction. « Oublieuse des maladies, de la décrépitude, de la mort et de la terre déjà existante qui couvrirait son insensibilité, Aude songeait au bonheur qui l’attendait. Elle ne savait pas que ces dents illuminées par la lune et reflétées dans la psyché étaient la première annonce de son squelette et que, par un après-midi de printemps refleurissant les champs et le cimetière, des vers s’insinueraient dans ces narines, aspirant la vie et son parfum de toutes fleurs.» C’est baroque et flamboyant. On songe à ces squelettes qui accompagnent les fêtes mexicaines.

Cet aiguillon, se comprendrait mieux chez des athées or au contraire, il se mêle à de constantes référence au Créateur dont l’existence n’essuie aucun doute, mais ne soulage guère de l’angoisse.
Une fois que leurs chemins se sont séparés, on suit alternativement, par longs pans de plusieurs dizaines de pages, Solal et la bande des Valeureux. Ils se croisent et se recoupent constamment. Quand ils ne sont pas là vraiment, c’est qu’ils le sont par des hallucinations. Ils sont le juif errant, celui de tout temps, ils sont les bases de Solal.

Mais c’est trop. Pour moi du moins. Le rappel incessant de la condition de juif dans la société européenne me semble ne plus s’appliquer à grand-chose à notre époque et il m’a paru le plus souvent que les oppositions juifs/gentils relevaient bien davantage de la bonne vieille opposition oriental/occidental et que les Tables de la Loi n’avaient pas grand-chose à voir là-dedans. Nous sommes au vingt-et-unième siècle, beaucoup d’entre nous sont athées, pour nous les Juifs, sont des gens comme les autres, ni meilleurs ni pires et nous sommes surpris par le flot d’images d’Epinal que Cohen fait pleuvoir sur nos têtes de pauvres lecteurs sans a priori.

Publié en 1930, ce roman m’a curieusement semblé relever du 19ème siècle, avec ses fantasmagories dignes de Ponson du Terrail (présence de la ville juive souterraine), ses ambitions, fortunes et ruines éclair à la Balzac et les notions ethnologique relevées précédemment. Je pense que c’est un ouvrage qui marque par son excès et sa richesse, dont je garderai à coup sûr le souvenir, mais qui a mal vieillit.

Pour résumer le drame, cet extrait:
«Elle ne pouvait pas deviner la douleur et le désarroi de cet homme qui avait le cœur trop ardent pour pouvoir choisir entre sa femme qu’il aimait et sa race qu’il aimait, qui se sentait coupable vis-à-vis de l’une et de l’autre, qui n’avait plus le courage de rentrer dans la vie, cruelle aux passionnés d’absolu»

mais «juif», une race? Idée aussi drôlement datée. Cette notion de base de ce roman n’éveille absolument aucun écho en moi, ce qui explique sûrement mon scepticisme, malgré les incontestables beautés du style, face à ce livre pourtant souvent porté aux nues.

Critique par Jehanne – Lourdes racines

Attention, ce commentaire raconte l’histoire

(Corfou, 1895- Genève, 1981)
Haut fonctionnaire à la S.D.N., Albert Cohen avait la nationalité suisse et écrivait en français.

Nous sommes à Céphalonie en Grèce. Les Solal sont une famille juive, respectueuse des traditions les plus ancestrales. Ici, le peuple juif est confondu avec sa religion. On emploie même le mot de « race ».

Le rabbin et sa femme, respectés et lettrés, ont un fils unique le héros de ce roman. Les autres membres de la famille (Mangeclous; l’oncle Saltiel) sont des semi clochards, autodidactes, pittoresques, tout à la fois, drôles et émouvant, exaspérants et naïfs, dont l’histoire se déroule en contrepoint de celle de Solal.
Lorsque les deux se rencontrent, c’est le drame.

Le désir de Solal est de quitter cette famille qu’il tient pour dégénérée, et cette religion qu’il ne veut pas suivre. Il part faire carrière à l’étranger mais reste errant et quoiqu’il séduise, toujours déplacé.

Il épouse Aude de Maussane, chrétienne et protestante et devient ministre.

La cohorte conduite par l’oncle Saltiel reparaît. Se rendant compte que cette « tribu » est inconciliable avec le milieu où il vit, Solal rejette l’oncle Saltiel ainsi que son propre père venu le rechercher.

Le père se mutile les yeux avec un brasero pour se punir d’avoir engendré un renégat. Solal ne va pas résister à un tel geste. Il se croit une dette envers la tribu des Céphaloniens, rompt avec sa femme, abandonne sa carrière.

Nouveau départ: il se convertit au catholicisme, retourne vivre avec Aude, ce qui sera l’agonie du couple et la sienne propre. Pris de délire, se prenant pour le Christ, il se livre à une tragique pantomime de l’Evangile.

Ce roman contient en germe tous les développements futurs de « Belle du seigneur », et illustre tragiquement les ravages causés par la culpabilité et le fanatisme.

Je dois dire qu’en dépit de son incontestable talent, l’écriture hyperbolique d’Albert Cohen m’épuise, et je ne lirai certainement pas «Belle du seigneur» avant longtemps.

Critique par Jean Prévost  – Le grotesque et le sacré

Solal est un roman délirant, loufoque, une espèce d’épopée dérisoire, désopilante et tragique à la fois, qui mélange l’invraisemblable et le grotesque au poignant et au sacré. La production de toutes ses intrigues totalement incongrues, l’ironie teintée d’affection véritable, qui s’exerce sur les coutumes des juifs, des protestants, sur le jeu politique et, en particulier, sur les institutions françaises de la troisième République, donnent une tonalité énorme à ce roman, une puissance que l’on n’est plus habitué à rencontrer dans la fiction plus récente, écrite en français tout au moins. La diversité de ton de la narration est considérable et il semble qu’aucun tabou ne doive être épargné. Les personnages sont capables de s’élever au sublime, aussi bien que de tomber dans la pire des bassesses et dans une déchéance en apparence irrémédiable. La sexualité la plus débridée est l’apanage du héros, comme sa capacité à dominer le monde et sa propension à l’instabilité. C’est un feu d’artifice qui côtoie les taudis et les égouts.

L’écriture elle-même, d’apparence classique, est pleine d’imprévus, d’images originales, d’expressions neuves et d’une grande variété de formes. Le lecteur se sent pénétrer dans un monde inconnu, une fantaisie parfois agaçante mais jamais figée, même si les aventures des «valeureux» peuvent paraître quelque peu répétitives à la longue, – surtout après la lecture de Mangeclous.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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