La conjuration des imbéciles – John Kennedy Toole

Critique par Sibylline – L’imbécile conjuration qui eut raison de lui.

Bon. J’avoue que pour mon titre, j’ai cédé au charme du jeu de mots et qu’il n’y a sans doute pas eu la moindre conjuration contre Toole. La force d’inertie, la malchance suffisent. Mais ce titre me plaisait bien. Pourquoi se priver?

John Kennedy Toole était enseignant, mais plus encore, du fond de son cœur et de tout temps, il était écrivain. Parce qu’il était le seul à le penser, avec sa mère, parce que tous les éditeurs refusaient son livre et qu’il avait fini par douter lui même, bien que n’ayant rien d’autre à quoi se raccrocher, il s’est tué à 32 ans, en inhalant les gaz d’échappement de sa voiture.
Sa mère reprit le livre et sa quête d’éditeur et s’acharna tant qu’elle finit par parvenir à le faire éditer. Et l’on vit que ces messieurs de la Profession s’étaient bien mis le doigt dans l’œil car, tout de suite, le roman séduisit les foules et le monde littéraire aussi puisqu’il reçut le prix Pulitzer.
Plus tard, poussé par la demande du public, on publia même « la Bible de néon », un roman que J.K Toole avait écrit à l’âge de 16 ans, et dont je ne puis vous parler car je ne l’ai pas lu; mais si vous l’avez lu et vous sentez l’envie de nous le commenter, n’hésitez pas. Vous êtes les bienvenus.

Parce qu’on avait dit et écrit partout et avec admiration que la conjuration des imbéciles était une œuvre majeure du 20ème siècle, certains ont compris que cela signifiait que c’était là ouvrage à prendre avec le plus grand sérieux et se sont quelque peu ridiculisés à soutenir que Ignatius J. Reilly était un homme admirable ou à s’étonner au contraire de ne le point trouver sympathique. Or, tout cela est absurde. Certes, ce livre est une œuvre majeure, mais cela ne l’empêche pas d’être tout autant une farce truculente et grand-guignolesque. Ou, pour être plus exact, une tragi-comédie.

Reprenons donc en essayant de respecter la place des choses.
Ignatius, bien que ni son passé, ni son caractère, ni ses compétences, ni ses souhaits ne l’y prédisposent, doit, à 30 ans, exercer une occupation salariée. C’est tout au long de cette aventure que nous le suivons avec un intérêt et une jubilation qui ne se dément pas un instant, dans des péripéties totalement imprévues, grotesques et invraisemblables.

Cette lecture est un régal et, l’ouvrage a beau être copieux (480 pages), je ne me suis pas lassée une seconde de cette histoire délirante et fine. J’en conseille absolument la lecture, sans doute pas dans l’espoir de grands éclats de rire (quoique…), mais pour la jubilation réelle qu’elle est susceptible de causer à son lecteur.

Critique par Chatperlipopette – American comedy

Ignatius Reilly vit avec sa mère dans une vieille bicoque d’un quartier pauvre de La Nouvelle Orléans. Il passe son temps cloîtré dans sa chambre entre ses livres et ses cahiers « Big Chief » dans lesquels il alterne maximes, pensées et journal! Ignatius a étudié longtemps à l’université où il s’est rendu célèbre par ses attitudes subversives et grotesques, c’est un jeune trentenaire érudit, intelligent à la sensibilité exacerbée par une tendance aiguë à être hypocondriaque (Aaahhh, l’anneau pylorique qui se bloque dès qu’il y a contrariété!!!) ce qui le rend très tyrannique et un tantinet réactionnaire. Son train-train quotidien est perturbé par la rencontre, grotesque et hilarante, d’un vieil homme, un peu gauchiste et contestataire, et d’un policier, aux allures d’abruti et stigmatisé par ses collègues et son supérieur. Leurs chemins vont se croiser régulièrement grâce à Mme Reilly mère, alcoolique solitaire qui sympathise avec ces deux hommes… et grâce à l’accident de voiture qui met à mal les finances familiales. Notre Ignatius se voit dans l’obligation de quitter sa tour d’ivoire pour se mettre à la recherche d’un emploi… ce qui s’avère provoquer une réaction en chaîne des plus hilarantes!

Une galerie de personnages hauts en couleur s’égrène au fil du roman: Mancuso, le policier affligé d’une kyrielle de déguisements plus ridicules les uns que les autres, Mr Gonzales, le comptable des Pantalons Levy, Miss Trixie, la secrétaire d’âge canonique qui devrait être en retraite mais qui est maintenue sur son poste en vertu d’une expérience psychologique menée par Mme Levy, Jones le balayeur d’un bar louche tenu par une patronne sculpturale et dictatoriale, Mr Levy qui ne pense qu’à une chose, se débarrasser des Pantalons Levy créés par son père, la copine de Mme Reilly, avocat du diable luttant pour l’émancipation ombilicale d’Ignatius, ou Myrna, l’ancienne copine de fac qui s’est juré de faire sortir Ignatius de sa gangue d’inertie.
Dès le premier chapitre, on est happé par le côté délirant des situations et des descriptions des personnages: rien que la casquette de chasse verte est un bonheur à imaginer sans compter le reste de l’individu qu’est Ignatius. « Une casquette de chasse verte enserrait le sommet du ballon charnu d’une tête. Les oreillettes vertes, pleines de grandes oreilles, de cheveux rebelles au ciseau et de fines soies qui croissaient à l’intérieur mêmes desdites oreilles, saillaient de part et d’autre comme deux flèches indiquant simultanément deux directions opposées. Des lèvres pleines, boudeuses, s’avançaient sous la moustache noire et broussailleuse et, à leur commissure, s’enfonçaient en petits plis pleins de désapprobation et de miettes de pommes de terre chips. A l’ombre de la visière verte, les yeux dédaigneux d’Ignatius J.Reilly dardaient leur regard bleu et jaune sur les gens qui attendaient comme lui sous la pendule du grand magasin D.H.Holmes, scrutant la foule à la recherche des signes de mauvais goût vestimentaire. Plusieurs tenues, remarqua Ignatius, étaient assez neuves et assez coûteuses pour être légitimement considérées comme des atteintes au bon goût et à la décence. La possession de tout objet neuf ou coûteux dénotait l’absence de théologie et de géométrie du possesseur, quand elle ne jetait pas tout simplement des doutes sur l’existence de son âme. » (p 13)
En quelques lignes, le lecteur est plongé dans le monde de l’absurde où la cohérence apparaît au moment où il s’y attend le moins. Le départ dans les rouages de l’esprit décalé du héros est guidé par ces mots où le burlesque tient une grande part… d’autant qu’il a l’art de semer, l’air de rien, la zizanie et de retourner à son avantage des situations déplaisantes (Ignatius est tout sauf un simple d’esprit: il possède l’art de la rhétorique) ce qui fait de lui un parangon de vertu et de bonté! D’ailleurs, cette attitude déstabilise complètement sa mère qui ne cesse de balancer entre l’envie de ne plus le voir et son amour maternel.

Le personnage de la mère est intéressant: elle bataille sans relâche contre des sentiments contradictoires (maternage et remontrances), elle a envie d’être enfin libre et en même temps elle n’ose lâcher son rejeton dans la jungle du quotidien. Tous deux forment un couple où l’amour/haine scande chaque seconde vécue. Ils sont aussi attachants l’un que l’autre (Ignatius peut être vraiment répugnant mais on ne peut s’empêcher de l’apprécier malgré tout) tant par leur décalage perpétuel par rapport à la réalité que par l’osmose qui les unit: il y a des passage où l’émotion est intense derrière la dérision, l’ironie et l’absurde. En creusant un peu, on s’aperçoit que plusieurs personnages sont pathétiques: Ignatius, qui se languit de solitude et de misanthropie absurde; Mme Reilly, qui ne peut couper le cordon ombilical; l’agent Mancuso, qui arpente les rues de La Nouvelle Orléans sous les déguisements les plus ridicules; Mr Levy et son application puérile à défaire ce qu’a construit son père. Cependant, le comique est toujours présent, dissimulant habilement le pitoyable et le pathétique sous des aspects plus faciles à accepter: le rire est une défense et une manière, parfois, d’occulter la noirceur.

John Kennedy Toole utilise à merveille le décalage entre la préciosité de la langue utilisée par Ignatius, ovni dans le roman, et la langue populaire des personnages qui gravitent autour du héros. Il est facile d’imaginer que la lecture en VO du roman est hautement jubilatoire par ces virevoltes linguistiques, aussi peut-on rendre hommage au traducteur pour avoir réussi à faire entendre, au fil de la lecture, la langue et l’accent populaires des vieux quartiers de La Nouvelle Orléans! Il est à noté également que la mise en scène du contraste entre Myrna et Ignatius est une manière subtile de mettre le doigt sur les différentes « Amériques » coexistant dans les années soixante: celle qui n’en peut plus des rigidités obsolètes et incohérentes et qui ne souhaite que le progrès et l’ouverture d’esprit (notamment dans la défense des Droits Civiques pour les Noirs), représentée par Myrna, révolutionnaire en diable, feu follet adepte du « secouage » des consciences politiques; celle qui souhaite, par étroitesse d’esprit et peur de la nouveauté, que rien de change, que l’univers reste stable histoire de ne pas s’y perdre, représentée par un Ignatius qui cherche des arguments contraires par tous les moyens (cependant, il sera à la pointe de l’idéalisme en inventant un système pour instaurer la paix définitive dans le monde…un système mettant en pratique, pour les militaires, le slogan « Faites l’amour pas la guerre »).

Au final « La conjuration des imbéciles » est un roman hautement comique, un roman qui pointe les contradictions du monde par la dérision la plus totale et la plus jubilatoire. « La conjuration des imbéciles » et sa galerie de personnages inénarrables restent longtemps à l’esprit après lecture: le roman est d’ailleurs construit comme du théâtre de boulevard, on entendrait presque les portes claquées à chaque entrée et sortie des personnages, on imagine leurs gesticulations burlesques et bruyantes et on se délecte des multiples rebondissements.

Critique par Elizabeth Bennet – Quand un vrai génie apparaît

Ignatius J. Reilly est typiquement le genre de personne que vous n’aimeriez pas avoir dans votre entourage: égoïste, paranoïaque, lâche, fainéant, pédant, ingrat, méchant, menteur, roublard, Ignatius incarne tous les plus vils défauts de l’âme humaine, unis à un physique plus que disgracieux et à un goût vestimentaire pour le moins douteux et surprenant. Après dix ans passés sur les bancs de l’université, Ignatius vit toujours chez sa mère, dont le léger penchant pour les spiritueux ne fait qu’accroître le mépris de son fils à son égard, et il est incapable de sortir de chez lui autrement que pour aller au cinéma vociférer contre les prestations calamiteuses des acteurs. Mais un jour, suite à un accident de voiture, Mme Reilly se retrouve contrainte de trouver une grosse somme d’argent pour rembourser les dégâts, et préfère envoyer son fils au travail plutôt que d’être obligée d’hypothéquer sa maison. Malgré les vives protestations d’Ignatius et de son anneau pylorique (qui a tendance à se refermer à la moindre contrariété, ce qu’Ignatius ne manque pas de souligner), notre anti-héros se retrouve du jour au lendemain employé chez Pantalons Levy, une minuscule entreprise familiale où, excepté les ouvriers sous-payés et l’ivrogne qui leur tient lieu de contremaître, ne travaillent qu’un patron éternellement absent, un chef de bureau dévoué à la firme mais terriblement naïf, et une vieille femme à moitié sénile qui passe son temps à dormir ou à réclamer à grands cris sa mise à la retraite. Et lorsque Ignatius, pris d’une soudaine passion pour sa nouvelle entreprise, propose d’y apporter quelques légères modifications, nul ne se doute que la société court à la catastrophe, et Ignatius avec…

« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui » (J. Swift). Avec une telle phrase en exergue, voici un roman qui s’annonce tout plein de promesses. Et pour une fois, on n’est pas déçu: le livre dépasse tout ce qu’on aurait pu imaginer. Avec sa foule de personnages pittoresques et déjantés (outre le héros obsédé par son système digestif et sa mère désespérée et légèrement portée sur la boisson, on rencontre un agent de police incapable d’arrêter un seul suspect, une entraîneuse qui se rêve danseuse orientale, un Noir philosophe employé malgré lui dans un bar glauque et aux activités suspectes, un vieux richard terrifié par les « communisses », une jeune activiste politique aux combats ridicules…), ce roman nous livre une image savoureuse de la société américaine dans ce qu’elle a de plus extrême et de plus délirant.

Complètement antipathique, Ignatius reste fidèle à son rôle de personnage qu’on adore détester tout au long de l’histoire, même si l’on ne peut s’empêcher de ressentir une forme de jubilation devant ses manières grossières et répugnantes et son mépris caractérisé pour l’ensemble du genre humain. Véritable Don Quichotte des temps modernes, Ignatius ne livre que des combats dérisoires, ou qui n’ont de sens que pour lui, ce qui revient finalement à peu près au même.

John Kennedy Toole nous transporte avec délices dans un univers atypique, où chaque personnage a sa façon bien à lui de s’exprimer (parlure soigneusement rendue par la traduction, même si la difficulté de la lecture en est parfois accrue), où chaque situation à priori banale donne lieu à des bouleversements burlesques, où rien ne se passe finalement comme prévu. C’est bien la principale qualité de ce roman particulièrement original: l’imprévu déboule à chaque page, à chaque chapitre, et toutes les attentes du lecteurs sont soigneusement battues en brèche par l’auteur, jusqu’au dénouement qui prend un nouveau virage à 180°. Ajoutons à tout cela la fascination d’Ignatius pour un livre tristement méconnu de Boèce (auteur latin tardif) « La Consolation de Philosophie », auquel il se réfère sans arrêt, se répandant en imprécations contre les tours que ne cesse de lui jouer la Fortune, fascination qui se retournera contre le pauvre Ignatius dans une scène particulièrement savoureuse, où il découvrira avec horreur ce qu’inspire Boèce à certaines personnes dotées d’une morale plus que légère. Sans être le chef-d’œuvre du siècle qu’on a pu y voir dans un excès d’enthousiasme, « La Conjuration des Imbéciles » reste un roman divertissant, unique en son genre, souvent désopilant, corrosif, prenant et rarement ennuyeux. En somme, voici un livre fort sympathique, agréable et qui présente de nombreuses qualités et bien peu de défauts, tout l’inverse d’Ignatius, pour ainsi dire.

Critique par OB1 – Inadapté

C’est l’histoire d’un anti-héros, Ignatius Reilly, infréquentable, abominablement gras, doté d’un esprit à la fois brillant et imbuvable. Ce « sûr de lui » juge tout le monde de son regard condescendant. Personne ne lui échappe et ses saillies sont souvent dans le mille. Parce que l’homme est cultivé, doté d’un esprit supérieur. Malheureusement, l’intelligent n’est pas civilisé. Il râle tout haut au cinéma, il méprise son prochain, il ne respecte rien et n’a d’oreille que pour ses ennuis gastriques, prompt à toujours trouver une raison pour ne rien faire. Ecoutez le plutôt : « … décidé à ne fréquenter que mes égaux, je ne fréquente bien entendu personne puisque je suis sans égal. » P 174

D’où lui vient cet antipathique caractère… Premier indice : la relation avec la mère… Ce gros bébé vit toujours dans ses basques à plus de trente ans, s’adjugeant le droit de commenter la vie qu’elle se choisit. Une relation tout sauf saine. Deuxième indice : il ne travaille pas et quand il s’avère obligatoire de s’y mettre suite au loufoque accident de voiture que sa mère a eu avec un mur de maison qu’il faut rembourser, il a une idée toute personnelle de sa mission et s’adjuge le droit à une autonomie d’organisation. Troisième indice : il est seul et même son amie-ennemie, Myrna, est rejetée voir combattue. C’est un repoussoir…
« Sa logique était une combinaison de demi-vérités et de clichés, sa vision du monde un pot-pourri d’idées fausses tirées d’une histoire de notre pays écrite du point de vue d »un tunnel de métro. » P 178

Mais alors, que se passe-t-il? Pas grand chose, nous suivons à la trace cet Ignatius dans son combat contre les moulins à vent. Une sorte de Don Quichotte. Les personnages secondaires sont tous haut en couleurs. Que ce soit Mancuso, flic costumé, Miss Trixie vieille employée empêchée de prendre sa retraite, ou encore M. Levy patron absent d’une entreprise familiale qui lui pèse. Tous ont un grain! Nous suivons notre Ignatius, dont le nom restera dans la mémoire, vivre sa vie de fils, d’employé, de vendeur de hot-dogs, et lors d’une tentative d’engagement politique… Notre homme est clairvoyant sans l’être totalement quand les choses le concernent…
« T’as tout appris, Ignatius, sauf à être humain » P 494

Toole s’est suicidé à 32 ans, n’ayant jamais su que ce livre fut un phénomène en Amérique, qu’il reçut le prix Pulitzer, et qu’il devint donc un classique. C’est sa mère, tenace, qui réussit à le faire publier, après moult insistance. Il est vrai que remis dans son contexte, les années 50, ce livre joliment loufoque gagne en épaisseur. On ne peut alors que se demander en quoi Ignatius ressemble à son auteur… Le livre en lui-même contient quelques longueurs à mon goût, des passages qui insistent trop sur le décalage du personnage et de son entourage. Le rendu de la traduction est réussi, montrant bien les différents registres de langage des personnages, du registre très soutenu d’Ignatius qui a le pouvoir des mots pour lui, au parler vulgaire des tenanciers du bar… la traduction parvient à nous faire sentir ces mondes qui se côtoient… Un livre à découvrir…

 

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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