Ce que je sais de Vera Candida – Véronique Ovaldé

Critique par Fashion Victim – A Vatapuna

Prix France-Télévision 2009

Parfois, chers happy few, la vie vous joue des tours.
Comme vous vous en souvenez peut-être, j’avais lu « Et mon coeur transparent » de Véronique Ovaldé, que j’avais détesté. Comme j’avais manifestement été l’une des rares dans ce cas, j’avais retenté l’expérience Ovaldé avec « Déloger l’animal » que j’ai abandonné page 56. Je pensais alors que Véronique et moi étions définitivement en froid, ce qui, malheureusement, arrive parfois.

Et puis elle a sorti un nouveau roman. Je ne m’y suis du coup pas intéressée jusqu’à ce que je lise de jolies choses sur lui, ici et là. Me voilà donc, presque malgré moi, en train de le feuilleter dans une librairie, et de me rendre compte au bout d’un quart d’heure que non seulement j’allais être en retard à mon rendez-vous, mais qu’en plus j’avais lu 40 pages, comme ça, d’une traite. J’ai alors demandé à une amie si elle voulait bien me prêter ce roman et me sauver ainsi de l’incertitude qui s’était abattue sur moi: pouvais-je vraiment aimer « Ce que je sais de Vera Candida » ?
La réponse est oui. Sans réserve.

Vera Candida quitte la petite île de Vatapuna à 15 ans, enceinte d’un viol. Elle laisse derrière elle Rose, sa grand-mère, qui l’a élevée à la place d’une mère défaillante et maltraitante et la pauvreté d’une vie sans horizon. Elle se réfugie sur le continent où elle rencontre un journaliste, Itxaga, qui tombe éperdument amoureux d’elle…

« Ce que je sais de Vera Candida » est un roman à la fois tragique et enlevé, qui raconte le destin de trois femmes de la même famille dont l’existence a été bouleversée par un homme, Jeronimo, qui a un jour décidé que la cabane de Rose gênait sa vue. A cause de cette histoire de cabane Rose tombe enceinte et le cercle infernal de la fatalité s’abat sur sa fille, Violette, puis sur sa petite-fille, Vera Candida. Au-delà d’une histoire souvent bouleversante de femmes qui survivent comme elles peuvent dans une société aux mains des hommes qui imposent leur loi et brandissent leur désir comme un étendard, j’ai été conquise par un style enchanteur, d’une fluidité et d’une limpidité totale, dont les ruptures de ton sont d’une drôlerie souvent inattendue. On croise dans les rues de Lahomeria, la ville imaginaire ou de Vatapuna, l’île où l’on finit toujours pas revenir, un homme qui se travestit et tente de sauver les filles abusées, une femme qui cache de bien vilains secrets, un journaliste idéaliste en vespa qui est le seul de toute la ville à porter un casque, une petite fille qui devient une femme en habits démodés, un fantôme, un trésor, un squelette de pendu et surtout, beaucoup d’amour. Un très beau roman, définitivement.

Critique par Sibylline – Totale réussite

Ce roman était initialement intitulé « Vies amazones » ce qui collait fort bien à son contenu mais s’est révélé peu compréhensible à l’oral (Visa ma zone, Vis, amazone!, vis à ma zone etc.) et c’est ainsi que nous avons maintenant un « Ce que je sais de Vera Candida » plus consensuel et même accrocheur. Je ne sais pas qui a choisi ce nouveau titre mais il a tout de même un petit côté étonnant dans la mesure où il place en tête d’affiche (« Je ») un personnage masculin, dans ce livre de femmes, et lui confie le rôle de témoin ou de narrateur privilégié (je parle du titre) soit un changement d’optique total par rapport au roman que nous allons lire.

« Ce que je sais de Vera Candida » donc, est une histoire de femmes sur quatre générations: Rose Bustamente, la grand-mère qui se fait une vie libre et indépendante dans sa misérable cabane face à la mer, sa fille Violette indépendante aussi mais pas libre, sa petite fille Vera Candida second personnage majeur de ce roman après Rose et son arrière petite fille Monica Rose qui nous amène à l’époque actuelle et qui, elle aussi, va son chemin à sa guise. C’est la force de leur volonté, cette indépendance d’esprit et ce choix de ne se référer qu’à leur propre jugement qui est la marque principale de ces femmes et Véronique Ovaldé nous montre à travers ce roman loin d’être aussi long qu’il aurait pu l’être (même pas 300 pages) ce que fut leur chemin.

Cela se passe en Amérique latine, à la campagne, puis à la ville. Comme dans la plupart de ses romans, on peut dire que ces lieux ne sont pas réels dans la mesure où ils ne correspondent pas à un « vrai » endroit sur terre, mais ils ont toute la réalité voulue dans la mesure où ils pourraient bel et bien exister, en la plupart des pays d’Amérique du Sud. L’auteur n’a sans doute pas souhaité se lier à d’inutiles contraintes de véracité factuelle et je lui donne raison sur ce point.

Je vous disais que ce roman n’était pas une brique et cependant il s’y passe vraiment beaucoup de choses et les milieux traversés et montrés sont nombreux également, nombreux et bien brossés d’une façon très vivante. Véronique Ovaldé sait leur donner toute la vie et la précision voulues en quelques pages. J’ai admiré ce savoir-faire.

Pour ces femmes que nous montre l’auteur, l’homme est l’ennemi. Cela ne semble pas un parti-pris arbitraire, mais le constat objectif des expériences vécues. Et c’est vrai qu’il y a des exceptions, et c’est vrai qu’Itxaga n’est pas comme cela, néanmoins c’est dans ces situations que ces femmes ont toujours baigné au point que nos quatre héroïnes ne conçoivent d’issue que dans le renoncement à l’idée d’amour. Quant aux hommes sincères…
 » il est difficile de s’excuser pour des actes qu’on n’a pas commis, bien que oui, Itxaga pensât que c’était une chose possible de faire amende honorable pour tous ceux qui se comportent comme des salopards. »
Car oui, il y aura quand même, en quatre générations, un homme honnête, juste et épris.

Et n’oublions jamais la leçon de Rose Bustamente qui  » lui avait enseigné depuis toujours que les victimes sont des victimes, qu’elles ne sont jamais complices et que les salopards ne sont que des salopards »

Critique par Tistou – Histoire de femmes

Il n’est guère question que de femmes dans ce roman, et pas n’importe lesquelles. Deux hommes s’y distinguent aussi, un en héros positif ; l’amoureux de Vera Candida, Itxaga, et l’autre en salaud absolu – d’où pratiquement les errements de la lignée de Rose Bustamente découlent, Jeronimo.

Le cadre? Une île, ou un rivage d’Amérique Centrale, Caraïbes. Un cadre imaginaire : l’île, Vatapuna et une ville du « continent » : Lahomeria.

Rose Bustamente s’est retirée des « affaires », prostituée en rupture d’activité, pour venir goûter des jours plus sereins dans sa cabane sur une plage de Vatapuna, à vivre libre et pêcher à l’épuisette des poissons volants. Mais le mal(e) passe par là, Jeronimo, qui a fait bâtir son « château » sur les hauteurs et qui prétend avoir la vue offusquée par la cabane de Rose. Rose partie négocier avec Jeronimo subit la situation et se retrouve enceinte de Violette.

Violette est un personnage mineur dans le roman, simplette et fille facile. Mais Violette est surtout la mère de la fameuse Vera Candida. Vera Candida qui va être élevée par sa grand-mère, Rose, et qui va subir un sort comparable à celui de celle-ci. Partie rencontrer Jeronimo, elle en sort violée, elle aussi, et enceinte à quinze ans.

Vera Candida préfère alors quitter l’île et se retrouve à Lahomeria. Apparition de Itxaga, et de Monica-Rose, sa fille. Quatre générations de femmes tout de même.

Outre ces considérations sociétales, il y a de très beaux passages sur la nature tropicale, sur la condition féminine en milieu machiste avéré et sur les techniques de survie de femmes fracassées par la vie et l’égoïsme masculin.
« Le chauffeur referme la porte coulissante et démarre.
Vera Candida pose son sac, elle respire l’odeur des palétuviers, la poussière de la route, le gasoil, et les effluves du matin caraïbe – le ragoût et les beignets -, elle perçoit le jacassement des télés et des radios par les fenêtres ouvertes – il doit être sept heures sept heures trente, estime-t-elle -, le ressac de la mer en arrière-plan, un chuintement discret, elle reprend son sac et traverse le village, se dirige vers la cabane qu’elle a quittée vingt-quatre ans auparavant.
Il y a un snack à la place.
Une baraque en tôle cadenassée. Vera Candida s’approche pour jeter un oeil à travers la porte vitrée, les relents persistants de graillon lui rappellent l’état de son estomac, elle se sent nauséeuse, elle jure entre ses dents, Putain de putain, elle s’attendait de toute façon à ce que la cabane en bois ait été rasée, c’était couru d’avance, elle le savait, n’est-ce pas, avant d’avoir entrepris le voyage, alors pourquoi a-t-elle entrepris ce voyage, elle entrevoit des tabourets retournés sur les deux tables et un comptoir bricolé avec du bois de récupération, elle s’assoit sur son sac et reprend son souffle, elle croise ses mains devant elle, voit ses doigts se superposer les uns aux autres, elle pense à ce que charrie son sang, elle pense à son corps qui déclare peu à peu forfait, elle a la tentation de se laisser aller à un désespoir tranquille. Elle ne se sent pas si mal, elle se sent juste en proie à la fatalité. »

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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