Déjeuner chez Wittgenstein – Thomas Bernhard

Critique par Mapero – Déjeuner en paix…

Pièce en trois actes, intitulée en allemand « Ritter, Dene, Voss » du nom des acteurs préférés de Thomas Bernhard.

Voss c’est Ludwig le philosophe, Dene sa sœur aînée, Ritter sa sœur cadette. L’action se passe à Döbling dans la maison riche en souvenirs qu’habitent les deux femmes. Dans le premier acte, Dene prépare le déjeuner tandis que Ritter lit le journal. Elles se disputent sur l’opportunité d’avoir sorti leur frère de Steinhof, l’hôpital psychiatrique où il distribue entre les pensionnaires les cadeaux qu’elles lui apportent. On apprend aussi que Dene est la plus attachée à son frère et qu’elle s’est sacrifiée pour dactylographier ses écrits, rester à Döbling pour lui rendre régulièrement visite à l’asile; sinon la maison aurait été vendue et les deux femmes seraient reparties savourer Rome ou Venise. Elles se retrouvent aujourd’hui avec Ludwig pour déjeuner, et prendre le café. Il est facile de constater que Ludwig est très dérangé mentalement et que tous les sujets de conversations tournent à l’affrontement, qu’il s’agisse des profiteroles au dessert, des caleçons en coton, des tableaux de la salle à manger, ou du théâtre qui intéresse les deux sœurs.

Le philosophe illuminé, malade, ne s’en prend pas qu’à son médecin; il s’en prend à l’art contemporain d’autant plus violemment que les Wittgenstein ont été des mécènes: hier ses parents, maintenant les deux sœurs commandent leurs portraits à de jeunes artistes: «Celui qui vient en aide à un jeune artiste le détruit et l’anéantit… Moi le mécénat m’a toujours répugné… Il ne manquait plus que cela que mes sœurs se fassent peindre en cette période d’anti-art…» Le génie de la famille est plein de haine contre elle, contre sa mère autant que contre son père qu’il entendait dire «philosophe philosophe il n’est même pas bon pour faire un acteur…» Le théâtre est pour lui quelque chose de répugnant, «Faire du théâtre c’est quand même un art abject» comme la philosophie des auteurs qu’il a lus: Schopenhauer et Nietzsche sont « amitiés fatales / relations de papier … à la fin rien que des nausées.» La haine de soi fait des ravages, pousse à l’autodestruction et à la violence contre les autres et contre les choses; le mal-être de Ludwig réapparaît en permanence et seule la musique classique a le pouvoir de le calmer. Pour un temps. Et l’envie de s’isoler dans une cabane de rondins en Norvège.

Avec peu de personnages mais beaucoup de casse — dans la vaisselle et les cervelles — ce drame qui est devenu un classique du théâtre contemporain est un condensé de l’esprit acide de l’auteur autrichien.

Antoine
Antoine
Passionné de livre depuis mon plus jeune âge, je vous propose de partager cette passion de la Plume sur ce site internet.
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